4,8 millions de Français, soit 11% d’entre eux, sont «objectivement seuls». C'est le constat de la Fondation de France qui publie ce jour une enquête sur la solitude en France. Un chiffre en hausse de 20% par rapport à 2010 et en pleine évolution.
«A travers cette enquête nous cherchons à mesurer la solitude effective : les personnes classées comme isolées ont eu très peu ou aucune relation durant le mois précédent leur entretien. Ni familiale, ni amicale, ni professionnelle» explique Martine Gruère, responsable des solidarités à la Fondation, qui souligne que cette enquête a été menée auprès de 2200 personnes.
La solitude est souvent associée à l'âge - notamment après la canicule de 2003 qui a exposé les personnes âgées isolées - mais l'étude de la Fondation de France démontre que le profil des personnes victimes de solitude évolue rapidement. Le poids des années n'est plus le seul coupable de l'isolement. Si 21% des personnes de plus de 75 ans se disent seules, le taux de personnes en situation d'isolement a diminué pour les 60-74 ans. La plus forte hausse concerne les 30-39 ans : ils sont 9% à se dire victimes de solitude, soit 6% de plus qu'en 2010.
«C’est la troisième fois en trois ans que nous menons cette enquête», remarque Martine Gruère qui développe les principales tendances :«Déjà en 2010, nous avions remarqué que la solitude augmentait dès 40 ans. Aujourd’hui, c’est dès 30 ans. Si cela peut-être expliqué en partie par les séparations, le facteur déterminant est surtout l'emploi. De nos jours, à 30 ans, l'emploi n'est pas encore stabilisé et on cumule les stages, les CDD...».
Le travail semble perdre peu à peu son rôle d'intégrateur social : près d'un tiers des Français disent n'entretenir avec leurs collègues que des relations de travail et 37% des personnes isolées travaillent. Selon l'enquête, c'est surtout la forme que prend le contrat de travail qui peut isoler. Le taux de personnes en situation d'isolement a ainsi explosé de 5 à 15% entre 2010 et 2012 chez ceux qui bénéficient -subissent - d'un contrat précaire, CDD ou contrat d'intérim. «Pour les CDD, c'est différent : cela dépend de la durée de son contrat. Celui qui a deux ans de contrat a le temps de créer du lien et de se faire considérer, contrairement à celui qui n'a que quelques mois», souligne Jean-Claude Delgènes, fondateur de Technologia, cabinet d'études sur la prévention des risques professionnels, qui a notamment mené des travaux sur le suicide.
Les travailleurs pauvres - ceux qui touchent moins de 1000 euros par mois - sont les plus sujets à l'isolement : cumulant souvent des conditions de travail compliquées à un salaire peu élevé. «Sans parler des entreprises où il y a beaucoup de turn-over : les gens n'ont pas le temps de créer des liens.» Pas l'envie non plus parfois : «Pour certains, on parle de précarité intégrée : les gens ne se livrent pas, ils sont dans le retrait, car ils savent qu'ils ne resteront pas», constate Jean-Claude Delgènes.
Chez les titulaires d’un CDI, l’augmentation est plus limitée, d'après le rapport : 7% sont isolés, contre 4% en 2010. «Même si vous êtes en CDI, il est de plus en plus difficile de passer de collègue à ami»souligne Martine Gruère. La faute à l'évolution progressive du monde du travail créatrice d'isolement. Jean-Claude Delgènes met en cause tout à la fois le mode d'évaluation individuel des employés qui les fait«courir droit devant dans leur propre couloir» à la poursuite de leurs objectifs, le recours fréquent aux sous-traitants extérieurs ou encore la disparition du «filet du syndicalisme». Il souligne aussi la plus grande rareté des événements conviviaux au sein de l'entreprise : «Tout ce qui n'est pas identifié comme générateur de cash est supprimé, parfois au détriment du lien social.»
Pour lutter contre ces modifications du monde du travail et de l'entreprise, la Fondation de France soutient à hauteur de 15 millions d'euros par an de nombreux projets créateurs de lien social et notamment à l'attention des travailleurs isolés : des coopératives d'auto-entrepreneurs, des groupements d'employeurs...
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