C’est le cas d’Ikea, dont les pratiques d’espionnage ont éclaté au grand jour début 2012. Le géant du meuble suédois est soupçonné d’avoir fait appel à des sociétés privées afin d'obtenir des renseignements sur les antécédents judiciaires, policiers ainsi que sur les comptes en banque d’une centaine de salariés. Une information judiciaire est en cours mais la direction d’Ikea a d’ores et déjà pris plusieurs mesures. Ce sont d’abord des excuses qui ont été adressées publiquement par le groupe: « des pratiques contraires aux valeurs et standards éthiques ont été malheureusement constatées au sein de Ikea France. Ikea regrette profondément que nos valeurs d’entreprise n’aient pas été respectées », déclarait l'entreprise dans un communiqué en mai 2012. Résultat : quatre dirigeants de la filiale française -le directeur général, la directrice des ressources humaines, le directeur financier et le directeur des risques- ont été débarqués. Puis, en juin, l’entreprise a continué sa remise en cause en annonçant cette fois un renforcement de son organisation, avec une nouvelle gouvernance qui comprendra notamment un correspondant Informatique et Libertés et un Comité d’éthique.Si Ikea est l’exemple le plus récent en matière de non respect de l’éthique, d’autres entreprises l’ont précédé. En 2008, en Allemagne, l’enseigne de grande distribution Lidl avait engagé des détectives privés pour espionner ses salariés. Euro Disney et trois anciens gendarmes attendent quant à eux leur procès en correctionnel pour avoir enquêté sur des candidats à l’embauche entre 1998 et 2004. Dernier exemple, selon Anne-Sophie David et Benoît Broignard, auteurs du livre « Syndicats filous, salariés floués », Molex aurait engagé une équipe de gardiennage pour écouter et surveiller les salariés et les grévistes en septembre 2009.
Une question d’éthique
Tous ces exemples mettent en lumière l'absence d'éthique dans le mode de management de ces entreprises. « Il est tout à fait légitime de prévenir les risques, notamment de vols. Mais dans le cas d’Ikea, les moyens sont déplacés. La gouvernance implique une identification des risques, mais tous les moyens pour y parvenir ne sont pas permis », explique Jean-Marc Le Gall, conseil en stratégies sociales. Même son de cloche chez Agnès Cloarec-Mérendon, avocate en droit social et associée du cabinet Latham & Watkins : « Les méthodes deviennent intrusives dès lors qu’elles portent atteinte aux libertés individuelles. Pour pouvoir installer un système de surveillance, quel qu’il soit, il faut que le but soit justifié par l’activité, et les moyens proportionnés à ce but. »
Dans le cadre de son travail, l’avocate a suivi plusieurs dossiers faisant apparaître des pratiques douteuses : existence de fichiers de collaborateurs avec signification de liaisons entre salariés, fichiers avec appréciation hasardeuse des employés avec des termes comme « cas social » ou « salarié instable »... « Lors de période de grande tension comme une grève, certaines entreprises font même appel à des sociétés de surveillance afin d’infiltrer des taupes chargées d’écouter et d’espionner les collaborateurs » ajoute-t-elle.
Pour éviter toute déviance et permette une surveillance respectueuse des droits de chacun, la CNIL (Commission Nationale Informatique et Liberté) définit un cadre. En matière de vidéosurveillance, elle précise notamment que les caméras ne doivent pas filmer les employés sur leur poste de travail, sauf circonstances particulières (comme la manipulation d’argent). Les caméras ne doivent pas non plus filmer les zones de pause ou de repos des employés, ni les toilettes. Enfin, elles ne doivent pas filmer les locaux syndicaux ou des représentants du personnel. Pour permettre aux employeurs de se repérer dans la législation, la CNIL propose depuis juillet 2012 un guide pour gérer les risques sur les libertés et la vie privée. « La règle en matière de surveillance est claire : il faut prévenir en premier lieu le CHSCT et le comité d’entreprise, puis informer individuellement les salariés de cette surveillance », précise Agnès Cloarec-Mérendon.
Pour prévenir les dérives, Jean-Marc Le Gall propose lui d’aller plus loin, en impliquant davantage les représentants du personnel : « Parmi les parties prenantes, celle qui regroupe les salariés est systématiquement négligée dans les instances de gouvernance décisives. Donc, logiquement, les risques afférents aux représentants des salariés y sont négligés. Il faut mesurer les risques que l’entreprise fait vivre à cette partie prenante, et inversement. » Carol Lambert, associée Ethique et Gouvernance chez Deloitte, résume la problématique ainsi : « Les organes de gouvernance que sont le Conseil d’Administration et la Direction Générale, doivent s’interroger sur les risques de certaines pratiques. Ce sont des points d’une extrême sensibilité que les entreprises ont parfois du mal à maîtriser. Ces points doivent être appréhendés comme des risques sérieux. » Analyser le risque humain et faire évoluer la gouvernance vers une meilleure prise en compte des problématiques d’éthique, telle est la meilleure recette pour prévenir les dérapages.
Source (novethic.fr)
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