Ce slogan, donc, convainc de moins en moins. Qui, exactement, paye moins et qui vit mieux ? On comprend bien à qui s'adresse le slogan : au consommateur à faible revenu auquel le numéro un mondial de la grande distribution assure que, en venant chez lui, il paiera le moins possible en améliorant son bien-être. Mais une interrogation prend forme : ne serait-ce pas d'abord à l'entreprise elle-même que ce slogan fait référence ? N'est-ce pas d'abord Wal-Mart qui paye le moins possible pour mieux en vivre ?
De ce point de vue, la firme a vécu une fin d'année pénible, en clôture d'un annus horribilis. Le 27 novembre, un incendie ravageait l'usine d'un de ses sous-traitants textile au Bangladesh, Tazreen Fashion, y faisant 112 morts. Dans cette zone où sont implantées des centaines de sites travaillant pour des sociétés occidentales, des manifestations ont mobilisé des milliers d'ouvriers qui y travaillent dans des conditions salariales et de sécurité proprement indignes. Un mois après, le New York Times publiait une enquête dévastatrice. Il en ressort que les conditions d'hygiène et de sécurité que Wal-Mart prétend exiger de ses sous-traitants n'existent que pour mieux se prémunir juridiquement.
Rappelant un célèbre sketch de Coluche sur les bavures policières - à la première, on a un avertissement, au 20e avertissement un blâme, et au 10e blâme on peut être rétrogradé... -, les "inspections" de Wal-Mart sont si lâches qu'il faut attendre la troisième et au moins deux ans, une fois l'infraction constatée, avant la moindre répercussion. Mais, en cas d'"incident", la firme argue alors des constats effectués pour prétendre, en justice si besoin, que son sous-traitant porte toute la responsabilité : il n'a pas agi quand Wal-Mart l'avait mis en garde. Pendant ce temps, les pressions sur ce dernier pour produire toujours "moins cher" perdurent.
Dans le cas de Tazreen Fashion, les multiples "violations" des normes anti-incendie "constatées" par Wal-Mart sont restées sans suite. En avril 2011, une réunion s'était tenue à Dacca, capitale du Bangladesh, regroupant le gouvernement, les sociétés étrangères (Wal-Mart, Gap, Sears...), leurs sous-traitants et des syndicats locaux. Les témoignages recueillis par le quotidien indiquent que Wal-Mart s'était montré le plus hostile à toute aide financière à l'amélioration de la sécurité dans les usines locales. Selon les minutes de la réunion, son dirigeant local expliquait que, pour la firme, il "n'est financièrement pas possible de faire de tels investissements"...
Cela fait des années que le "système Wal-Mart" est dénoncé comme l'incarnation d'une exploitation systématisée des moindres failles permettant de gagner plus en payant moins. Un exemple entre cent : en novembre 2007, le Wall Street Journal publiait une longue enquête sur la gestion des accidents du travail chez Wal-Mart. Deborah Shank, une employée, était sortie paralysée d'un accident sur la route de son travail. L'assurance fournie par Wal-Mart avait payé ses frais d'hospitalisation. Puis Mme Shank avait assigné la compagnie de transport, dont le camionneur, ivre au moment des faits, l'avait percutée, et gagné 417 000 dollars d'indemnités. Mais, dès le verdict prononcé, l'assureur de Wal-Mart avait exigé d'elle un remboursement immédiat de plus de 700 000 dollars pour ses coûts hospitaliers ! Motif : un alinéa du contrat d'assurance-santé privé prévoyait qu'en cas de "double indemnisation", le bénéficiaire devait intégralement rembourser l'assurance de ses frais. Le mari de l'accidentée avait eu beau clamer que sa femme, invalide à 100 %, nécessitait la présence constante d'une aide-soignante et que les deux prises en charge n'étaient pas redondantes, Wal-Mart s'était montré inflexible : un contrat est un contrat. La justice lui avait donné raison, et jusqu'en appel. La firme, écrivait le Journal, est coutumière de cette pratique.
Pourtant, jamais autant qu'en 2012 Wal-Mart n'aura connu une telle accumulation de révélations et de critiques sur la "mentalité" de ses dirigeants. Sur la systématisation des pots-de-vin distribués au Mexique pour contourner les contraintes légales sur la construction ou éliminer des concurrents (la justice américaine enquête). Sur l'"audit interne exhaustif" que l'entreprise a dû ouvrir sur d'autres faits de corruption systématique en Inde. Sur de "potentielles pratiques illégales" au Brésil et en Chine que Wal-Mart a été amené à admettre. Le soupçon est toujours le même : user de sa force de frappe financière pour contourner les lois et imposer aux sous-traitants une pression maximale afin de "dépenser moins". Enfin, après le récent meurtre de masse de l'école Sandy Hook, on a découvert que Wal-Mart était devenu le premier vendeur d'armes des Etats-Unis.
Lors du Black Friday, le dernier vendredi de novembre qui ouvre les soldes pour les fêtes aux Etats-Unis, des manifestations syndicales étaient organisées pour dénoncer à la fois les conditions de travail des employés américains, mais aussi partout où Wal-Mart s'implante. Récemment, lorsque Michael Duke, le PDG de Wal-Mart, est arrivé pour donner une conférence au prestigieux Council on Foreign Relations, à New York, des centaines de protestataires l'attendaient. Dans les deux cas, la question "Qui paye moins cher ?" était l'un des slogans phares.
Source (Lemonde.fr)
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