A La Poste, en dépit du "Grand Dialogue", les suicides continuent

Posté le 3 avril 2013 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

chsctLa série noire continue à La Poste. Une nouvelle tentative de suicide a eu lieu au sein du groupe public et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) des services de maintenance, qui s'est tenu jeudi 28 mars, a ouvert une enquête.
Les faits concernent un technicien du centre de Lisses (Essonne). Samedi 16 mars, celui-ci a avalé, à son domicile, des médicaments. "Cela l'a plongé 48 heures dans le coma", indique Régis Blanchot, administrateur du syndicat Sud à La Poste. Les jours de ce salarié, toujours hospitalisé, ne sont plus en danger.

"A son réveil, précise le syndicaliste, notre collègue a mis en cause la responsabilité de l'entreprise". Il a évoqué "l'attitude de son responsable et la baisse de sa notation annuelle", intervenue, par ailleurs, quelques jours après qu'il a subi une agression durant son travail. Cette accumulation d'événements l'aurait conduit à accomplir son geste suicidaire.

Ces deux derniers mois, La Poste a eu connaissance, au total, de deux suicides ; et deux salariés ont aussi tenté de mettre fin à leurs jours. "Une catastrophe humaine se développe", assure Bernard Dupin, administrateur CGT, premier syndicat de l'entreprise.

Un peu plus de six mois après le "Grand Dialogue", initié par la direction, et la remise du rapport rédigé par Jean Kaspar – ancien secrétaire général de la CFDT –, qui dressait un constat noir sur le climat social à La Poste et préconisait des pistes d'action, tout serait-il donc à reprendre ?

Jean-Paul Bailly, le président du groupe public, avait en effet confié, en mai 2012, à M. Kaspar, la tâche de mener ce "Grand Dialogue" avec les agents après le suicide, sur leur lieu de travail en Bretagne, en février et mars 2012 de deux cadres, précédés d'un autre suicide, en septembre 2011, au centre financier de Paris.

Après la remise du rapport Kaspar, La Poste avait annoncé l'ouverture de négociations avec les syndicats afin de mettre en œuvre "l'ensemble de [ses] préconisations". A commencer par le recrutement de 15 000 personnes sur la période 2012-2014, au lieu des 10 000 initialement prévues.

"RÉORGANISATIONS PERMANENTES"

Le 22 janvier, un accord sur la qualité de la vie au travail, reprenant les recommandations du rapport, a été signé par les syndicats FO, CFDT, CGC-UNSA, et CFTC. Ce texte prévoit dix-sept mesures immédiates comme le remplacement des salariés absents, l'expérimentation du travail avec deux jours de repos consécutifs (les facteurs travaillent actuellement six jours sur sept), la mise en place d'un millier de responsables en ressources humaines de proximité...

Un dispositif d'alerte pour les syndicats si des règles ou des accords ne sont pas respectés a aussi été créé. Autre point : "la gestion du changement ", souligne Sylvie François, directrice des ressources humaines (DRH). Désormais, une étude d'impact sur les postiers doit être réalisée en amont de chaque réorganisation.

L'accord prévoit aussi, sur l'année, une série de chantiers de négociations. Le premier porte sur "l'organisation et les conditions de travail", précise Mme François. "Nous avons une absolue nécessité de progresser", assure la DRH.

Mais pour M. Dupin, le "Grand Dialogue" et les chantiers de négociation ne sont que "de la communication, de l'enfumage. Rien n'a changé depuis le rapport." Après une pause des réorganisations, celles-ci ont "repris de plus belle", disent plusieurs syndicalistes, "comme s'il fallait rattraper le temps perdu."

Aujourd'hui, poursuit M. Dupin, "c'est la même politique de suppressions de postes, de management par le stress, de réorganisations permanentes sans consulter les postiers, qui continuent de perdre leurs repères."

"LE GOUVERNEMENT EST ABSENT"

"Comme beaucoup de mes collègues, je viens travailler à reculons, confie une élue CGT au CHSCT du centre financier de Paris. Je n'ai plus aucune marge de manœuvre dans mes tâches. Je suis confrontée à des changements permanents de procédures, de logiciels. On renvoie au personnel une image négative de lui-même. Beaucoup de mes collègues n'attendent qu'une chose : des mesures de départ anticipées."

Selon M. Dupin, les suicides résultent "d'une stratégie à la hache menée depuis des années au nom de la rentabilité." Stratégie qui, avance-t-il, doit être changée. "Mais le gouvernement est absent. Il doit sortir de son mutisme et demander que tout soit mis sur la table pour comprendre pourquoi il y a eu tous ces suicides."

Alain Barrault, secrétaire national de la fédération CFDT de La Poste, observe lui aussi, la reprise accélérée des réorganisations. La CFDT n'est cependant "pas favorable à leur arrêt total", mais demande "de la transparence, respecter les dispositions de l'accord."

Pourtant, M. Brault semble confiant. "Nous n'avons jamais eu autant de rapport de force en notre faveur, parce que la direction, confrontée à des actes de désespérance, a peur que le climat s'envenime. Il faut en profiter pour faire avancer les choses" dans les négociations à venir, indique-t-il.

Source (LeMonde.fr)

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