Ahmed Al Motamassik : «Le mal-être découle de la sous-estimation de nos capacités à faire face aux problèmes»

Posté le 2 janvier 2013 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

chsctEnvironnement inadapté, surmenage, déficit de communication, manque de reconnaissance…plein de causes engendrent le mal-être et la vie au bureau est loin d’être toujours bien vécue par les employés. Ahmed Al Motamassik, sociologue d’entreprise, aborde un décryptage sociologique du phénomène.

Comment définir le mal-être en milieu professionnel ?

Au niveau linguistique, on oppose le mal-être ou le «mal-vivre ensemble» au «bien-être» ou au «mieux-être». On peut le caractériser comme un état émotionnel qui peut aller d’une simple inquiétude sur l’avenir à un état profond de blocage psychologique et personnel. De ce point de vue, le mal-être relève essentiellement de l’affectif et de notre perception négative de nos capacités à faire face et de nos rapports avec autrui. L’émotion dominante est le sentiment de «ne plus pouvoir contrôler une situation».
Je reviens à l’idée de la perception du mal-être aussi bien dans la vie courante qu’en milieu du travail. Le mal-être dans la vie au quotidien est dû à plusieurs facteurs, notamment psychosociologiques, alors que le mal-être en milieu professionnel est dû principalement à la vie d’entreprise, à l’organisation du travail. Notre réflexion portera sur ce dernier qui commence à prendre une ampleur inquiétante car les entreprises sont atteintes des «excès de management». On demande plus avec moins de moyens et de temps, on fait gérer les urgences, on fait des promesses qu’on ne peut pas tenir, des injonctions de la qualité tout en réduisant les délais, une exacerbation de la compétitivité tout en réduisant les moyens et les coûts... En un mot, on assiste à une quête de la performance à outrance. Finalement, le salarié perd ses repères en termes de confiance dans ses compétences et en termes de visibilité.

Quelles sont les origines du mal-être en milieu professionnel ?

Généralement, le mal-être trouve son origine dans plusieurs facteurs qui peuvent être regroupés en quatre axes générant quatre types de tension : tension liée aux changements inhérents au travail, aux contraintes du travail, aux relations et comportements ainsi qu’aux valeurs et exigences de la personne.
Concernant le premier point, toute situation de changement crée un malaise, et, comme je l’ai cité précédemment, l’accélération des changements, l’accélération des fusions-acquisitions, de rachat et de vente, l’évolution des métiers… donnent de plus en plus le sentiment que les individus subissent cet environnement et qu’ils n’ont pas la possibilité de le maîtriser.
Dans le deuxième point, on trouve plusieurs facteurs à l’origine du mal-être. On cite à titre d’exemple les charges de travail de plus en plus fortes, les consignes contradictoires, le travail dans l’urgence, les objectifs démesurés ou trop ambitieux…
Dans le troisième point, quand on voit qu’il n’existe pas de communication, ni d’écoute, encore moins de collaboration et beaucoup plus de harcèlement et de pression, il est sûr que ces situations engendrent un malaise parfois profond.
Enfin, les tensions liées à la personne elle-même, notamment quand on sent qu’on est freiné dans sa progression, qu’on manque de reconnaissance, et qu’on n’arrive pas à concilier vie privée et vie professionnelle, le mal-être ne fait que s’amplifier.
Bien sûr, ces facteurs extérieurs ont un effet déclencheur, mais, en fait, le mal-être provient aussi d’une occultation de ses propres processus émotionnels qui se déroulent et se développent en nous à notre insu. En conséquence, nous manquons de recul et de distance pour appréhender la situation à sa juste valeur. Alors les émotions négatives nous envahissent, nous submergent et inhibent notre action.

Est-il si répandu ?

Bien évidemment qu’il est répandu. Ailleurs, les études ont démontré que c’est un fléau non négligeable qui a amené les entreprises à élaborer des stratégies d’intervention sur le terrain. Cela les a poussées à chercher le bien-être de leurs employés afin de les fidéliser et de les motiver. Au Maroc, le phénomène est encore occulté. D’ailleurs, d’après les enquêtes que j’ai menées dans les entreprises marocaines, j’ai trouvé que le mal-être peut se manifester à travers des revendications salariales ou des plaintes concernant les progressions lentes au niveau de la carrière, alors que celles-ci cachent souvent une souffrance travestie et mal exprimée.

Quel lien faites-vous entre mal-être et stress ?

La définition canonique du stress nous permet de cerner la relation entre les deux phénomènes. Un état de stress «survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. L’individu est capable de gérer la pression à court terme mais éprouve de grandes difficultés à faire face à une exposition prolongée ou répétée à des pressions intenses».
Quand le mal-être devient chronique chez un salarié, il se transforme automatiquement en un stress permanent avec des conséquences désastreuses sur l’individu et sur l’organisation. Les effets du stress et du mal-être sont à la fois physiques, émotionnels, intellectuels et comportementaux.

Quelles sont, selon vous, les conséquences de ce fléau?

Les différentes tensions décrites ci-dessus impactent l’organisation. Le taux d’absentéisme augmente, le niveau du turnover inquiète, l’initiative et l’innovation diminuent. Le fonctionnement de l’entreprise est aussi obéré par la baisse du niveau de productivité, par l’augmentation des rebuts et la perte de la clientèle. Mais les effets les plus manifestes concernent la santé et la sécurité. Nous constatons une augmentation du taux d’accidents, la fréquence des actes de violence et de passages à l’infirmerie, le nombre de consultations et de certificats médicaux en rapport avec les maladies professionnelles devient important.
Je veux revenir sur un point générique qui est, à mon avis, constitutif du mal-être. Il s’agit du flou et de l’indifférence qui guettent le management des hommes et femmes de l’entreprise. Dans les situations d’urgence qui deviennent permanentes, l’entreprise sollicite tout le corps social sans différentiation et de la même manière, ce qui rend les salariés sans repères d’auto-positionnement et de visibilité. On assiste à une confusion des statuts, des rôles, des lieux et des temps propres. Or, une personne qui perd son identité subjective et professionnelle perd aussi ses repères, ce qui va amplifier son mal-vivre. Nous savons, en psychologie du travail, qu’une perte d’identité subjective et professionnelle augmente le mal-vivre de l’individu.

Y a- t-il des moyens pour y remédier ?

Je pense que l’intervention peut se faire à deux niveaux par l’entreprise et par l’individu lui-même.
Au niveau de l’entreprise, les actions peuvent être nombreuses, j’en citerais quelques-unes. A titre d’exemple, le management de proximité, le renforcement du rôle des RH, l’implication des partenaires sociaux, donner aux salariés les moyens de se réaliser dans le travail, restaurer des espaces de discussion et d’autonomie dans le travail, anticiper et prendre en compte l’impact humain des changements car tout projet de réorganisation ou de restructuration doit mesurer l’impact et la faisabilité humaine du changement et enfin ne pas laisser le salarié seul face à ses problèmes et l’accompagner en cas de difficulté. L’approche se résume en une analyse des sentiments de malaise, de repérage des collusions et des confusions, le but est de promouvoir une collaboration par complémentarité en préservant la singularité des rôles et des fonctions et en travaillant sur une solidarité organique.
En un mot, fonder un espace d’émergence et de construction de l’identité subjective et professionnelle.
Au niveau des individus, je pense que le meilleur moyen est de ne pas s’isoler quand on vit des périodes difficiles. Ça ne fait qu’augmenter le stress. Il faut réagir vite, parler à son entourage pour vider son sac, discuter des problèmes avec la hiérarchie…, la fin ultime est de se frayer une autre voie en vue de sortir de l’indéfini en élucidant son désir spécifique et en construisant un projet professionnel juste et adapté.

Source (lavieeco.com)

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