Au secours, mon boulot me rend dingue

Posté le 11 juin 2013 | Dernière mise à jour le 23 juin 2021

Souffrance au travail : syndrome anxio-dépressif réactionnel au travail

 

Stress chronique, harcèlement, syndrome d’épuisement professionnel, burn-out, suicides… On n’a jamais autant parlé de la souffrance au travail. Quel est ce mal endémique qui ronge les entreprises et leurs salariés? Enquête dans les pas de l’Inspection du travail.

Rencontre avec l'Inspection du travail

La souffrance au travail. Sujet sensible pour ne pas dire tabou dans le monde de l’entreprise. En mars dernier, une enquête de l’Inspection du travail a abouti à la condamnation – historique – du dirigeant d’une société de formation de la région. Huit mois de prison avec sursis et 13 000 euros d’amende pour harcèlement moral relevant du sadisme auprès de deux salariés. « Des personnes très abîmées », observe Catherine Lance, inspecteur du travail, en évoquant cette affaire d’une ampleur exceptionnelle.

En vingt ans, celle qui exerce également les fonctions de directrice adjointe du travail à la Direction départementale du travail à Lille, un service de l’État, a vu la souffrance psychologique s’accentuer dans les entreprises. La mondialisation, la compétitivité, la culture du résultat ont modifié notre rapport au travail. « Le suicide ou la tentative de suicide sur son lieu de travail, c’est quelque chose que je ne voyais pas au début de ma carrière. »

Et le constat de l’Inspection du travail est édifiant : « L’entreprise est souvent dans le déni. Ce n’est jamais l’entreprise ou son organisation qui sont responsables. C’est toujours le salarié, soit il est fragile, soit il a des problèmes de couple ou d’argent… Même après une condamnation, il arrive que les dirigeants restent dans le déni. Il faut souvent aligner un certain nombre de victimes pour qu’on reconnaisse à la tête de l’entreprise qu’il y a un problème. »

Pourquoi ? « C’est très difficile pour les personnes qui ont mis en place ces méthodes de management de les remettre en cause. Il peut se passer beaucoup de choses avant… », analyse Catherine Lance en faisant le parallèle avec les scandales de la silicose ou l’amiante.

 

La peur du chômage

L’Inspection du travail – elle compte 22 inspecteurs et 44 contrôleurs pour l’arrondissement de Lille – a un pouvoir d’enquête au sein des entreprises. Elle peut être sollicitée par des représentants du personnel ou par des salariés. Mais elle peut également mener des investigations à la suite des déclarations d’accident du travail, dont elle est destinataire, à la CPAM. Dans le cadre d’un suicide ou d’une tentative de suicide, l’Inspection du travail est prévenue par la Police et l’enquête est systématique.

Le stress au travail – 65 % des Français estiment y être de plus en plus exposés – devient une préoccupation majeure des autorités et des partenaires sociaux. Mais comment l’inspecteur appréhende-t-il les troubles psychosociaux, c’est le terme officiel, et surtout le harcèlement au-delà du ressenti de la victime ? « On peut arriver dans une entreprise de façon inopinée, entendre les salariés et consulter des documents relatifs à la charge de travail, aux demandes de congés, aux primes… C’est un faisceau d’indices qui conduit à une analyse objective de la situation. »

La crise a évidemment accentué le phénomène. À tous les niveaux de la hiérarchie et dans tous les secteurs d’activité, privés ou publics, les témoignages se multiplient. Selon les observateurs, médecins du travail, syndicats, la conjoncture économique n’a jamais autant généré de managements pathogènes, de comportements à risque et de pressions.

Pour une personne qui ose se défendre, combien se résignent et souffrent en silence ? Rares sont les plaintes qui aboutissent sur le bureau du Procureur de la République. « Les gens ont une peur panique de perdre leur emploi donc ils acceptent des conditions de travail qu’ils n’auraient pas toléré dans une autre configuration économique. La victime a souvent peur de témoigner dans une procédure pénale et se retrouve souvent isolée dans sa communauté de travail car ses collègues ont peur pour eux-mêmes. »

Selon Catherine Lance, les risques sont particulièrement sensibles dans le secteur médico-social : « On constate beaucoup de détresse dans les activités de soins à la personne qui répondent de plus en plus souvent à des logiques de résultat qui peuvent être aberrantes et provoquer une souffrance éthique chez les soignants ». La grande distribution et les plates-formes téléphoniques sont également citées. « Je me souviens d’une visite de plate-forme téléphonique. Ce qui m’avait frappé c’est que la personne quand elle est au téléphone n’a absolument aucune liberté avec son interlocuteur. Son cerveau et sa main sont complètement absorbés, elle doit décliner la relation au client comme la machine le décide », indique Catherine Lance en évoquant par ailleurs la pression exercée par l’enregistrement des conversations ou encore le débriefing en groupe qui confine à l’humiliation.

 

Quand les collègues deviennent des bourreaux

Cadences effrénées, contraction du temps, environnement hostile, objectifs, conflit de valeurs… Les réalités de la souffrance au travail sont complexes. Et les situations de harcèlement ne sont pas que l’affaire d’organisations défaillantes ou de petits chefs tyranniques. On peut aussi être victime de ses collègues : « Vous pouvez avoir chez des collègues de travail, surtout dans des logiques de bouc-émissaire, quelqu’un que l’on maltraite parce que cela fait rire ou parce que cela draine les tensions du groupe. »

La responsabilité de l’employeur ? « Il doit veiller à ce que personne dans son entreprise ne se rende coupable de ce genre d’agissements ». Des agissements sournois qui s’exercent souvent à huis clos profitant d’un isolement social rampant. En contradiction avec le monde merveilleux des réseaux sociaux…

Quelle prévention contre la souffrance au travail ? « On s’appuie sur les CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, ndlr) auquel l’employeur a l’obligation de nous inviter. On incite les entreprises à faire une évaluation des risques psychosociaux et à mettre en place un plan d’action. » Pour Catherine Lance, c’est la gestion du stress qui fait défaut dans beaucoup d’entreprises : « En soi, le stress n’est pas une mauvaise chose quand il est au service de la dynamique et du dépassement. » Où se trouve la ligne jaune quand il s’agit de préserver la santé physique et mentale du salarié ? Difficile à dire. Seule certitude : « Les entreprises qui ne gèrent pas bien le stress de leurs salariés ont forcément un retour sur investissement en terme d’accidents, d’absentéisme, de créativité et de motivation. »

 

Le douloureux témoignage de Thibaut

Les photos sur les murs du salon arborent le visage d’un homme insouciant et heureux, d’un couple épanoui. « C’était notre lune de miel en Indonésie. Je suis un autre homme aujourd’hui. Je suis brisé », livre Thibaut, 38 ans. Cadre dans l’univers du BTP, Thibaut est en arrêt maladie depuis six mois pour dépression sévère. Qu’est-il arrivé à ce jeune homme aux brillantes études, passionné de plongée et d’astronomie ? « Nous venions de fêter son anniversaire avec des proches. Au milieu de la nuit, j’ai senti qu’il pleurait sur ma poitrine. Je n’ai jamais vu mon mari pleurer. Il m’a demandé de l’emmener aux urgences », confie son épouse à qui Thibaut avait tout caché.

« Mon corps lâchait, c’était comme si on m’arrachait le cœur », reprend Thibaut. Le résultat de plusieurs années d’angoisse sourde liée à la pression d’un supérieur : « Quelqu’un qui manage ses équipes par l’humiliation et la terreur. C’est sa méthode et il la revendique. J’ai essayé de tenir pour l’entreprise et pour préserver mes gars mais j’y ai laissé ma santé. » Un supérieur dont l’autorité était poussée jusqu’à la tyrannie : « Chaque semaine, je redoutais les réunions. C’était toujours très violent. Jamais constructif. Il prenait un malin plaisir à rabaisser les uns et les autres. Certains croyaient bon de rire à ses insultes pensant être épargnés… »

Pour Thibaut, l’acharnement va plus loin : « Comme il sentait que je ne cautionnais pas son attitude, il s’est mis à me démolir devant des clients au cours de déjeuners d’affaire. » Les appels tard le soir et le week-end pour pinailler sur des dossiers sont devenus de plus en plus pressants : « En voyant son nom s’afficher sur mon téléphone, j’étais tétanisé ».

Thibaut a songé à alerter les ressources humaines : « La DRH a dix ans de moins que moi, je me suis dit que c’était peine perdue. Que jamais elle ne remettrait en cause le système. La direction est parfaitement au courant mais ça arrange tout le monde tant que les projets sortent… »

Après plusieurs hospitalisations pour des problèmes cardio-vasculaires liés à un stress extrême, Thibaut suit une psychothérapie. « J’ai mis du temps à comprendre que le problème c’était lui et pas moi. Mais j’ai perdu confiance en moi, je n’ai plus envie, je n’arrive plus à donner du sens aux choses, à nos projets. C’est comme si la vie vous abandonnait. » A.D.D.

 

Tout le monde peut guérir d’une dépression

Quelles implications a le travail dans le stress et l’anxiété vécus par vos patients ? Le travail est aujourd’hui le facteur numéro 1 qui génère de l’anxiété. On a fait une étude auprès de médecins généralistes à Lille, Montpellier et Paris qui montre que l’anxiété et le stress de nombreux patients trouvent son origine dans le travail. C’est de plus en plus fréquent.

Cela touche en majorité les femmes ou les hommes ? On dit que le stress et l’anxiété sont plus fréquents chez les femmes. Elles consultent en tout cas plus. Je vois des hommes et des femmes. Mais les femmes sont plus représentées dans les problèmes anxio-dépressifs réactionnels au travail.

Comment se manifeste cette souffrance liée au travail ? C’est très polymorphe. Il y a des signes communs à tout mal-être anxieux : de la fatigue, des problèmes de sommeil, des douleurs. Après il peut y avoir un certain nombre d’éléments en lien avec le travail qui sont des ruminations mentales, un repli sur soi… Des éléments qui peuvent entraîner la personne dans la spirale de la dépression.

Le burn-out arrive à quel moment ? En tant que psychiatre, je parle plus d’état anxio-dépressif réactionnel. C’est un état qui vient à la suite d’un fort épuisement, d’un surengagement, d’une pression constante.

Quels en sont les symptômes ? Quelqu’un qui dort mal, qui est irritable avec son entourage, qui a du mal à se concentrer, à mémoriser. On note aussi des pics anxieux, des attaques de panique, des migraines… C’est une sorte d’état de surchauffe. Quand le repos d’un week-end ou des vacances ne suffisent plus à vous ramener à l’équilibre, à vous détendre. La fatigue est un signe très important. La reconfrontation au travail aggrave cet état auquel vont s’associer des émotions négatives qui ouvrent à des risques très importants.

Quels conseils pour ne pas craquer ? On peut commencer par s’observer pour être plus conscient de soi. Parce qu’il y a le stress que l’on subit et en fonction des tempéraments celui que l’on va fabriquer souvent pour lutter et colmater les choses. Il faut arriver à prendre soin de soi et se protéger. Les techniques de gestion du stress sont très utiles et ne sont malheureusement pas assez développées. C’est une évidence qu’il faut améliorer les managements mais il faut aussi travailler sur soi, ne pas s’isoler, demander du soutien, éviter les comportements à risque de l’alcool, et des substances.
Est-ce qu’on guérit d’une dépression ? Pour certaines personnes c’est une blessure qui prend du temps à se cicatriser car il reste toujours comme un sentiment d’injustice. Mais bien entendu, on va finir par guérir. Tout le monde peut s’en sortir. Il faut à la fois se mobiliser soi-même et se faire aider. Et il y a l’idée de rebondir. Car cela change profondément quelque chose.

Source (nordeclair.fr)

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