Depuis lundi 8 avril, à Paris, la 31e chambre correctionnelle voit se dérouler un procès pour harcèlement moral opposant des cadres à des managers d’une agence grands comptes de France Télécom. Les plaignants estiment avoir été harcelés entre 2007 et 2009 par leurs managers, qui, eux, contestent. Mercredi 10 avril, le Tribunal a entendu quelques-uns des témoins cités par les deux parties. Récit d’une audience où le management et le fonctionnement d’une entreprise sont au cœur des débats.
"Vous savez, j’ai vu des choses beaucoup plus graves dans l’entreprise. C’était très difficile à l’époque", témoigne Michel S., retraité de France Télécom. Jusqu’ici, le ton de l’homme était affirmé et d’un coup, celui qui est venu dire tout le bien qu’il pense d’une des prévenues a la voix qui tremble : "Pardonnez-moi mais je suis ému", précise-t-il. Le président du tribunal correctionnel reste impassible.
Qui est qui ?
Les plaignants : Dominique S. et Denis M., commerciaux. Ils disent avoir été subi un harcèlement moral.
Dalila B., manager, a signé la pétition en faveur de Dominique S. A été alors poussée vers la sortie.
Les prévenus : Brigitte K . : responsable de l’agence au moment des faits.
Bertrand de N. : responsable commercial. Aux dires des plaignants, il co-dirigeait avec Brigitte K.
Monsieur R. : responsable de Brigitte K. Il a embauché Dalila B.
Mercredi 10 avril, c’est la troisième journée d’audience dans le procès pour harcèlement moral de trois cadres de France télécom. C’est le parquet qui a porté plainte au nom des parties civiles, trois commerciaux qui dénoncent un harcèlement de leurs ex-supérieurs. Les deux camps sont répartis de part et d’autre de l’allée coupant en deux la salle d’audience qui, avec ses sièges en bois et son décor pseudo médiéval, a des allures d’église. Aux premiers rangs d’un côté les trois mis en cause et leurs avocats, de l’autre les trois plaignants et leur conseil. Entre les deux bords, la tension est par moment très forte. A la pause, les regards et les corps s’évitent. Le ressentiment des uns et des autres est palpable. Pourtant, un des mis en cause profite d’un moment de répit pour venir deviser avec un plaignant sur l’inconfort des bancs. Surréaliste moment où un dialogue semble encore possible… avant que les débats ne reprennent dans une ambiance toujours aussi tendue.
Michel S. est le premier témoin à prendre la parole après la pause de quinze minutes qu’ont ordonné les juges après plus de trois heures d’audience. Il a été cité par l’avocat de Brigitte K., une des mises en cause, et responsable de l’agence Gouvernement et institutions où se sont déroulés les faits dont il est question. Comme trois autres personnes qui lui succèderont à la barre, il a travaillé avec elle dans le passé. Il décrit une femme à l’époque ouverte, très investie dans son travail. "Dans son équipe, il y avait une bonne ambiance de travail", résume-t-il. Tout se passait bien, à écouter les uns et les autres, jusqu’à l’arrivée de Bertrand de N., un ancien militaire - une constatation répétée à plusieurs reprises lors des débats - devenu responsable commercial.
"FAIRE FLANCHER LES GENS"
Retour au début de l’audience avec les témoins de la procureure, majoritairement des commerciaux, qui racontent tous la même histoire. Celle d’un chef dont la réputation avait précédé l’arrivée : un homme au management autoritaire. Sylvie R., responsable de la communication, témoigne en premier. Elle dit avoir subi des pressions de Bertrand de N., qui voulait la voir partir. "C’était une période difficile pour moi. Je savais que je pouvais être sortie alors que je travaillais bien", témoigne-t-elle. Et de détailler les agissements des prévenus. Elle raconte un comité de direction où elle dit s’être fait "lyncher". "On voulait me faire changer de poste, insiste-t-elle. Le principe c’’était de faire flancher les gens, de les pousser à changer de poste, de réussir à leur faire croire qu’ils étaient incompétents." Ce que dément Bertrand de N.
Sylvie R. travaillait dans la même agence que Dominique S., une commerciale qui est aujourd’hui une des plaignantes et au cœur des auditions. Les deux femmes se connaissent et s’apprécient. Pour ses collègues appelées à la barre Dominique S. était une femme enjouée et volontaire jusqu’à l’arrivée de Bertrand de N. Elle a peu à peu perdu pied, à force de réprimandes, de brimades permanentes. "En réunion, Bertrand de N. lui coupait la parole, lui disant que ses clients n’étaient pas intéressants", explique un témoin. "Je ne comprenais pas car elle avait toujours été appréciée de son précédent manager", ajoute un autre. Sylvie R. raconte un épisode : "Avec Dominique, nous devions aller sur un salon. Elle m’a appelée parce qu’elle était en retard à cause des embouteillages. Elle est arrivée en pleurs, car Bertrand l’avait disputée au téléphone. Je savais qu’elle avait de gros problèmes de santé, elle faisait des hémorragies depuis plusieurs semaines. J’avais peur pour elle." Catherine L. qui a partagé son bureau se souvient à son tour : "Dans les réunions, son bon travail ne ressortait jamais, on lui chipotait ses notes de frais, soi-disant trop élevées." L’avocate de Bertrand de N. cite alors longuement les compte rendus élogieux des entretiens individuels réalisés entre Dominique S et ce dernier. Entre ce qui est écrit dans les documents lus par l’avocate et le récit des témoins un gouffre.
LE DÉSARROI ET L'IMPUISSANCE COLLECTIVE
La tension monte d’un cran quand l’avocate de Bertrand de N. interroge Catherine L., sa voisine de bureau et par ailleurs déléguée du personnel. Le président décide d’intervenir. "Veuillez, maître, interroger le témoin et ne pas faire son procès", ordonne-t-il. Les débats reprennent, avec cette interrogation : comment un tel climat a-t-il pu durer près de deux ans ? En off, une des personnes dans l’assistance confie : "C’était avant les suicides, personne ne nous croyait." Catherine L., la représentante du personnel, évoque un désarroi et une impuissance collective. "On cherchait une façon de réagir, on ne savait pas vers qui se tourner. On avait une forteresse en face de nous. On savait qu’on ne serait pas entendus", explique-t-elle, jusqu’au 7 novembre 2008, le jour où Dominique S. décide d’envoyer un courrier à sa supérieure Brigitte K. Certaines de ces collègues décident de la soutenir en signant une pétition dénonçant les agissements des uns et des autres. L’affaire démarre. L’entreprise ordonne une enquête interne, ce qui lui vaut aujourd’hui d’être parallèlement poursuivie pour délit d’entrave, le CHSCT n’ayant pas pu nommer des experts indépendants. L’enquête interne conclut qu’il n’y a pas eu de harcèlement, tandis que l’inspection du travail mandatée par un syndicat évoque des « pratiques inquiétantes », selon l’AFP.
La journée d’audience se termine avec l’audition de Marie-Odile G, l’ancienne responsable RH qui s’occupait de l’agence en question. "Les relations étaient tendues, mais elles faisaient des efforts pour travailler ensemble", explique-t-elle, en évoquant Brigitte K, la responsable et Dalila B. une autre manager qui a signé la pétition et qui fait elle aussi partie des plaignantes. Des tensions entre Bertrand de N. et Dominique S, la DRH dit n’en avoir jamais entendu parler jusqu’au fameux 7 novembre. "J’étais en congé la semaine suivante et je devais recevoir Dominique à mon retour mais elle était alors en arrêt maladie. Quand elle est revenue, l’enquête interne avait été lancée et elle n’a pas souhaité nous voir", résume-t-elle. Plus de quatre ans après les faits, elle parle de "management maladroit » et rappelle « ma porte était ouverte aux demandes".
Il est plus de 20 heures, d’autres témoins sont prévus et attendent depuis deux jours d’être entendus. Ils devront encore patienter. Le président, à la demande des avocats des prévenus, décide de lever la séance et rééchelonne le calendrier en raison du temps pris par les auditions. Les uns et les autres se retrouveront devant la 31e chambre mardi 16 et mercredi 17 avril. A l’issue des auditions, le jugement sera mis en délibéré.
Source (usinenouvelle.com)
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