Convaincre les salariés à déclarer leur handicap : dure mission pour les RH

Posté le 18 novembre 2013 | Dernière mise à jour le 6 juillet 2020

Convaincre les salariés à déclarer leur handicap : dure mission pour les RH

Aménagement des postes de travail, formation, bilan de compétences, reconversion, aides financières… Pour remplir leur obligation d'emploi de 6%, les entreprises multiplient les actions pour inciter leurs salariés qui dissimulent leur handicap à se déclarer. Un travail de pédagogie de longue haleine.
Comment convaincre les salariés qui dissimulent leur handicap à le déclarer ? Alors que les entreprises peinent à remplir leur obligation légale de 6% d'emploi de salariés handicapés (seule une société sur deux atteint ce quota), elles cherchent à puiser dans le vivier de leurs collaborateurs encore non déclarés. Et cette alternative se développe. Car recruter n'est pas chose aisée. "Il est très difficile de trouver des profils correspondant aux compétences que nous recherchons, constate Bruno Ponty, responsable diversité et marque employeur de la Française des jeux (1 100 salariés, dont 6% en situation de handicap). Peu d'étudiants handicapés sortent des universités et des grandes écoles. Or, nous embauchons essentiellement des titulaires de bac +2 à bac+3". Seules 7% des personnes en situation de handicap possèdent, en effet, un diplôme d'enseignement supérieur, contre 27% en général, selon une étude du ministère du Travail. D'où la nécessité d'encourager ses salariés à faire leur coming out.

 

Les préjugés persistent


Or, l'exercice est délicat. Car le processus de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) est avant tout un cheminement personnel. L'employeur ne peut pas obliger un salarié à franchir le pas. "De nombreux collaborateurs handicapés n'osent pas déclarer leur situation", confirme Pascal Guillemin, DRH de Cegid, éditeur de progiciels de gestion (2 000 salariés, dont 1,8 % en situation de handicap). Car les préjugés persistent : 49% des personnes concernées ne mentionnent pas systématiquement leur handicap auprès de leur employeur, d'après une enquête réalisée, en février 2013, auprès de 1 987 répondants inscrits chez Adecco. Pis : 10% ne le font pas ou plus par peur que cela ne les desserve. La crainte d'être mis à l'écart explique huit fois sur dix (80%) cette retenue. Viennent ensuite le désir de ne pas être identifié comme un handicapé (35%), puis le sentiment que cela n'est pas nécessaire (28%). La situation se complexifie encore plus avec la présence de collaborateurs handicapés psychiques (paranoïa, troubles bipolaires, dépressions chroniques…). "Les entreprises ne veulent pas endosser la responsabilité de telles pathologies très difficiles à gérer. Surtout, les managers ne savent pas réagir face à de telles situations", convient Pascal Guillemin. Et sont rarement volontaires pour intégrer dans leurs équipes ce type de personnes.

 

Un travail de sensibilisation


Comment briser les tabous ? "Tout l'enjeu est de dédramatiser les situations de handicap", relève Jacques Bourdet, responsable de la mission handicap de la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) qui n'a pas hésité à convier ses salariés à des déjeuners… dans le noir pour les sensibiliser au problème du handicap. Gilbert Montagné y est même venu en guest star. "Notre rôle est d'expliquer que ces personnes, une fois identifiées, conservent les mêmes compétences et les mêmes garanties mais qu'elles peuvent bénéficier d'un emploi du temps aménagé pour suivre plus facilement un traitement médical". "Le handicap peut créer de l'inquiétude, complète Gérard Groffe, DRH de Stef, spécialiste européen de la logistique du froid (12 000 salariés dont 4,7% en situation de handicap). Il faut trouver les mots justes pour lever les appréhensions". Pour y parvenir, l'accord signé par le groupe, en 2006, "a joué un véritable rôle de catalyseur : le taux de personnes handicapées est passé de 2,6% à 4,7% en l'espace de sept ans. Des salariés ont ainsi révélé leur handicap jusqu'ici dissimulé".

 

Des salariés pas toujours conscients de leur handicap


Car ces derniers "n'ont d'ailleurs pas toujours conscience d'être porteur d'un handicap", note Cristel Munoz, directrice opérationnelle et stratégique de CED-Emploi, une association de conseil auprès des entreprises. Le handicap est, en effet, multiple : diabète, problèmes rénaux, maladies invalidantes (voir notre article), tels que les cancers, le sida, problèmes musculaires, sanguins, victime d'infirmité motrice ou de déficience visuelle… D'où l'intérêt du travail de sensibilisation menée par les entreprises à grands renforts de livrets, affichage voire de pièces de théâtre.

 

Aides financières


Au-delà des mots, celles-ci mettent également en avant les accompagnements à l'égard de cette population. L'aide peut, tout d'abord, être financière. Nexter (2 800 salariés, dont 8,4 % d' handicapés) n'hésite pas à prendre en charge le coût financier des équipements (fauteuils roulants, déambulateur, boîtier à vitesse automatique, appareillages, prothèse auditive...). La Française des Jeux prévoit de son côté, une indemnité de transport spécifique pour les salariés qui ne peuvent accéder aux transport en commun en Ile-de-France. De même, l'entreprise participe aux frais de déménagement pour faciliter un rapprochement entre le domicile et le lieu de travail (dans la limite de 1 500 euros). Dans certains cas, lorsque les équipements ne sont pas suffisamment efficients, l'aide d'un accompagnateur est même proposée. C'est le cas, par exemple, chez Nexter. "Un interprète assiste un de nos salariés, responsable assurance qualité produit, déficient auditif, dans son activité, quatre heures par semaine", assure Jean-Yves Latre, responsable de la mission handicap et de la prévention des risques psychosociaux de l'entreprise spécialisée dans l'armement. Soit un coût de 25 000 euros par an. D'autres, enfin, facilitent les démarches administratives parfois très lourdes à effectuer (la durée du processus de reconnaissance est d'environ six mois) notamment via la mission handicap créée au sein des services ressources humaines. Sans compter, les piqûres de rappel ; les démarches étant à renouveler tous les cinq ans.

 

Formation


Autre action : l'aide à la reconversion. C'est le pari tenté par Stef qui a proposé à 572 salariés handicapés de les accompagner dans leur carrière, en les formant à de nouvelles fonctions. Avec en amont, l'organisation de journées découverte-métiers pour prendre connaissance des postes à pourvoir. Depuis son lancement, en 2012, 70 salariés se sont engagés dans cette démarche ; dix ont choisi d'exercer un autre métier. Un cariste est ainsi devenu préparateur de commande ; un chauffeur a intégré l'équipe du service après-vente. La formation est validée par le médecin du travail. Et l'Afpa Transition intervient pour l'évaluation des personnes et les propositions de poste à pourvoir. De même, Nexter prend en charge les formations diplômantes. L'entreprise a soutenu, l'an passé, la reconversion d'un soudeur vers un poste de technicien de méthode d'atelier. Une manière pour lui de prévenir la détérioration de sa motricité et d'apporter son expérience en atelier au sein d'un bureau de méthode. Idem à la Sacem.

 

Aménagement du temps de travail


Surtout, les entreprises proposent un temps de travail aménagé. L'accord en faveur de l'emploi des personnes handicapées de la Sacem, signé en 2010, qui sera renouvelé l'année prochaine, stipule que chaque personne déclarée peut bénéficier d'un temps partiel, en partie compensé. L'entreprise verse ainsi un complément de rémunération égal à 8% du salaire de référence temps plein pour tout mi-temps. Au-delà de ce seuil, le complément est de 5%. En incluant le surcoût des cotisations retraite "part patronale" des salariés handicapés concernés. Les salariés reconnus comme travailleurs handicapés pourront également bénéficier d'absences rémunérées exceptionnelles, de crédits d'heures et de flexibilité horaire dans la limite de quatre jours par an, dédiés à leurs démarches médicales et administratives. A la Française des Jeux, les salariés déclarés ont la possibilité de télétravailler une journée par semaine pour suivre leurs traitements médicaux.
Cegid mise sur le télétravail. Deux cadres, un ingénieur R&D et un responsable commercial, travaillent à domicile cinq jours sur cinq pour tenir "compte de l'évolution du handicap". Ils ne viennent qu'une fois par mois dans l'entreprise.

 

Aménagement de poste


Les sociétés n'hésitent pas non plus à aménager les postes de travail des salariés concernés. Cegid, par exemple, en a réalisé 21, avec l'aide d'ergonomes mais aussi d'associations spécialisées dans le handicap. "Nous avons investi dans des logiciels, des casques auditifs, des fauteuils ou encore des écrans spécifiques pour faciliter le travail", explique Pascal Guillemin. Au total, 20 000 à 30 000 euros ont été déboursés pour ces aménagements.
Reste que ces dispositifs incitatifs ne fonctionnent pas toujours. "En période de crise économique, l'appréhension est plus marquée", convient Cristel Munoz. "On ne peut pas empêcher les conversations de couloir", ajoute Jean-Yves Latre. Lenteur, moindre productivité, voire incompétences à occuper un emploi sont autant de préjugés qui collent encore à l'image du handicap. "Mais on avance peu à peu", poursuit l'expert. Un premier pas. Mais un vrai casse-tête.