De nouveau, le temps d’une matinée d’audience, le tribunal des affaires de Sécurité sociale de Mont-de-Marsan (Tass) a replongé dans « l’atmosphère chaude, confinée et poussiéreuse », - selon les termes de Me Maryline Steenkiste - de l’usine Gascogne Paper des années 60. De nouveau, les banderoles des membres du Collectif des amiantés de Mimizan, de la CGT Gascogne Paper sack, de la CGT de Morcenx et Pau, se sont dressées devant le palais de justice.
Cette fois, les juges examinaient les demandes de 12 anciens salariés - trois, décédés, étaient représentés par leurs ayants droit - qui demandaient que soit reconnue la faute inexcusable de Gascogne Paper. « C’est une audience importante au vu du nombre de dossiers contre une seule entreprise », notait hier Pierre Martinez, président du Collectif des amiantés de Mimizan. Le tribunal s’est laissé jusqu’au 3 juin pour rendre ses délibérés.
EN CHIFFRES
Le Collectif des amiantés a déjà porté 65 dossiers de salariés de différentes entreprises. « 35 sont terminés et les conclusions nous ont toujours été favorables. Cinq sont suspendus, douze sont en cours de jugement, quatre sont devant la cour d’appel de Pau, deux devant le fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, six nouveaux sont en cours de constitution et un dernier est devant les prud’hommes. », note Pierre Martinez.
« Défaut de protection »
« Tous les salariés dont il est question présentent la même problématique, a expliqué Me Maryline Steenkiste, l’avocate des requérants. Tous ont été exposés à un risque qui a donné lieu à des pathologies professionnelles, qui sont inscrites au tableau 30 (qui liste les affections professionnelles consécutives à l’inhalation de poussières d’amiante, NDLR.) »
Trois d’entre eux sont décédés de cancers entre 2009 et 2011. « Ce ne sont pas les premiers, reprend l’avocate. Il y a dans cette entreprise des maladies professionnelles dues à l’amiante. Ce n’est pas dû au hasard, mais au défaut de protection. L’employeur aurait dû avoir conscience du danger : il n’a pas pris les mesures nécessaires pour préserver la santé de ses salariés. »
Le rapport du cabinet Technologia, commandé par le CHSCT en 2006, indique toutefois que Gascogne Paper « a globalement suivi la réglementation » : « Ce terme “globalement” me gêne, reprend l’avocate. Il y a eu des masques de protection, inefficaces, distribués très tardivement, dans les années 90. Aujourd’hui encore, il subsiste des expositions : la chaudière numéro 3 dont le plafond est en amiante floqué peut encore contaminer. Les particules d’amiante sont 2 000 fois plus petites qu’un cheveu, ce n’est pas visible à l’oeil nu. »
En résumé, l’avocate dénonce « un problème de plan d’action, de prévention et un flottement dans l’informationdes salariés. » « On compte 60 maladies professionnelles dans cette usine et à peu près 40 fautes inexcusables de l’employeur ont été reconnues. Aujourd’hui, il y a une jurisprudence bien établie et constante : la faute inexcusable de l’employeur a toujours été reconnue. »
Pour fonder ses demandes d’indemnisation, l’avocate n’oublie pas d’évoquer les « souffrances physiques », « l’essoufflement », « l’oppression thoracique », ou encore la « fragilité pulmonaire » dont souffrent les requérants victimes de plaques pleurales aujourd’hui, mais aussi leur « angoisse face à l’avenir ». Concernant les dossiers portés par les ayants droit des trois défunts, elle décrit « les souffrances physiques », « les curages ganglionnaires » et finalement, les décès laissant des proches dans la douleur.
Face à cela, Me Élodie Bossuot, l’avocate de Gascogne Paper, soutient que l’entreprise a « globalement respecté la réglementation », comme le dit le rapport Technologia, « et ce, quand bien même, cette réglementation est inadaptée : la responsabilité de l’État a été reconnue pour cela. » Elle en veut pour preuve que sur les 2 000 salariés que l’entreprise a employés, « seuls 60 ont développé une maladie professionnelle. »
Pour certains dossiers, Gascogne Paper conteste le caractère professionnel de la maladie. « On n’est pas là pour globaliser les demandes, il faut individualiser, rappelle-t-elle. La charge de la preuve de la faute inexcusable pèse sur le demandeur. Or, dans certains dossiers, elle n’est pas rapportée. »
Des arguments qui provoquent quelques soupirs de dépit, dans l’assistance. Martine Saboy et Paquita Pradet, deux veuves qui ont perdu leur mari en 2009 et 2010, vivent le procès comme une nouvelle épreuve. « On veut que les juges reconnaissent la faute de l’employeur, notent-elles. Et surtout que ça se termine : cela fait trois ans que ça dure, pour nous, c’est pénible. Cela nous fait replonger à chaque fois dans la souffrance. »
« Nous sommes tous touchés, témoigne Jean, l’un des requérants. On a travaillé dans des conditions lamentables, sur les chaudières, sans masque, sans protection, on était constamment là-dedans. C’est un fléau, il n’y a pas que chez nous. »
Source (sudouest.fr)
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