La pénibilité du travail bientôt mieux reconnue ?

Posté le 19 juin 2013 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

chsctLa retraite anticipée pour travail pénible instaurée en 2010 n'a pas eu les effets escomptés. La réforme à venir pourrait assouplir les critères exigés.

Dans une réforme des retraites placée sous le signe de l’effort général, elle doit faire office de «marqueur de gauche» : la question de la pénibilité du travail est bien abordée dans le rapport Moreau, remis vendredi dernier, qui propose plusieurs pistes de réforme au gouvernement. Soulignant la faiblesse des compensations actuelles pour les carrières pénibles, le rapport suggère de rendre d’en élargir le bénéfice. Une solution qui satisfait déjà les syndicats.

Il y a trois, ces derniers déploraient unanimement les dispositions de la loi Woerth en la matière. Tout en portant l’âge de départ à 62 ans, la réforme a ménagé une possibilité de départ à taux plein dès 60 ans pour les personnes souffrant d’une incapacité permanente partielle (IPP). Les critères en sont très exigeants, puisque seul un taux d’IPP de plus de 20% (mesuré par les médecins de la Sécurité sociale) ouvre directement droit à un départ anticipé. Les salariés souffrant d’une IPP entre 10% et 20% doivent, quant à eux, justifier d’une exposition de dix-sept ans aux facteurs de risques ayant provoqué leur handicap : contraintes physiques (manutention, postures pénibles, vibrations), environnement (agents chimiques, pressions, températures, bruit) ou rythmes de travail (travail de nuit, répétif...). Une IPP de moins de 10% n’ouvre, elle, aucun droit à une retraite anticipé.

Tout en marquant un progrès par rapport à la situation antérieure, cette voie de sortie est donc très restrictive, et d’ailleurs peu utilisée. En 2010, le gouvernement prévoyait 10 000 retraites anticipées de ce genre par an. En réalité, selon la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), seules 7900 demandes ont été enregistrées entre juillet 2011 et mai 2013. Pis, à peine 5300 d’entre elles ont été approuvées par la «commission pluridisciplinaire», 1300 restant en cours d’instruction et 1430 (soit 18%) ayant été rejetées.

Troubles de l’élocution ou épilepsie

«Ce dispositif est lamentable, s’insurge Alain Alphon-Layre, en charge des questions de travail et de santé à la CGT. Pour être éligible, il fallait être très abîmé. A 20% d’IPP, on est dans les pathologies très invalidantes, pas dans le bout de doigt qui manque». Selon le barême officiel, un taux supérieur à 20% correspond par exemple à des formes moyennes d’insuffisance cardiaque, de troubles de l’élocution, ou encore des crises «fréquentes» d’épilepsie. «Et la philosophie du système pose problème, poursuit Alphon-Layre. Pour échapper au travail pénible, il faut prouver devant une commission que l’on est bien cassé, il faut se battre pour démontrer qu’on est malade».

Le rapport Moreau dresse lui-même un bilan mitigé du dispositif de 2010, expliquant notamment son faible succès par la «lourdeur des procédures» et des «conditions d’accès très restrictives». «Seuls les assurés présentant de grandes atteintes à la santé avant 60 ans, dont l’origine professionnelle a été reconnue, peuvent être concernés, écrivent les auteurs. Aucun de ces dispositifs ne prend en compte les effets potentiels (...) des facteurs de pénibilité pouvant entraîner une diminution de l’espérance de vie, quand ces effets apparaissent après le passage à la retraite».

La commission propose donc d’aller plus loin, sur la prévention des risques comme sur leur réparation. A court terme, avec une majoration des trimestres cotisés pour compenser l’exposition à certains facteurs de pénibilité – à raison, par exemple, d’un trimestre «offert» pour 15 trimestres d’exposition. Selon le rapport, un tel dispositif permettrait à 40 000 personnes de partir en retraite à taux plein avant l’âge légal de 62 ans, pour un coût de 610 millions d’euros (1,4 milliards la première année). Bémol : seuls deux facteurs de pénibilité seraient pris en compte, le travail de nuit et l’exposition à des facteurs cancérigènes. «Mais nous comptons bien obtenir l’extension de ces critères», prévient Jean-Louis Malys, en charge des retraites pour la CFDT.

«Timide mais intéressant»

A plus long terme, la commission Moreau propose un «compte individuel pénibilité». Prenant en compte les mêmes facteurs que le système actuel, il permettrait aux salariés concernés de convertir leur durée d’exposition en «points», lesquels ouvriraient droit à différentes portes de sortie : une formation pour changer d’activité, un temps partiel rémunéré à temps plein ou un rachat de trimestres pour partir plus tôt en retraite. Selon le rapport, 25% des salariés pourraient être concernés, et le coût total de la mesure atteindrait 2,1 milliards d’euros (répartis à raison de 1,2 milliards pour la formation, 0,7 milliards pour les temps partiels et 0,2 milliard pour les retraites).

La décision revient maintenant au gouvernement, qui entrera en concertation avec les partenaires sociaux lors de la conférence sociale, jeudi et vendredi. Aucune décision n'a encore été prise, mais ce compte individuel pénibilité a retenu l'attention de la ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine. «Ce sont des pistes timides, mais qui peuvent permettre des avancées intéressantes, juge de son côté Jean-Louis Malys. Plutôt qu’un trimestre gagné pour 15 ans d’exposition à des facteurs de risque, nous proposons un pour 10». La question est pourtant loin d'être consensuelle. Le patronat refuser de lier les questions de la pénibilité et des retraites, Laurence Parisot considérant de toute façon que la réforme de 2010 a réglé la question. Et le patronat n'acceptera pas de bonne grâce une éventuelle hausse de cotisations pour financer le dispositif.

Un autre point pourrait faire débat : celui des catégories de fonctionnaires dites «actives» (pompiers, policiers, infirmiers, surveillants pénitentiaires...). Ces dernières peuvent partir à la retraite dès 57 ans, voire 52 pour certaines. Le rapport critique cependant «une logique essentiellement statutaire, pas nécessairement en lien réel avec l’emploi détenu et donc sa pénibilité», et suggère donc de «faire évoluer ce dispositif». Ce qui ne sera peut-être pas du goût des syndicats : «Certains métiers pénibles il y a trente ans le sont moins aujourd’hui, concède Alain Alphon-Layre, de la CGT. Mais il y en a aussi qui le sont plus, il n’y a qu’à voir l’explosion des risques psycho-sociaux. Alors si le gouvernement compte faire des économies là-dessus, attention, je ne suis pas sûr qu’il y gagne.»

Source (liberation.fr)

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