Faire émerger des paroles d'hommes sur la question de l'égalité entre hommes et femmes, à la fois dans l'entreprise et dans la vie privée : l'initiative est peu commune. Répondant à une commande de l'Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE), un réseau associatif qui rassemble des grandes entreprises publiques, privées et des syndicats, l'inspectrice des affaires sociales Brigitte Grésy et la psychanalyste Sylviane Giampino rendent public, jeudi 10 mai, un rapport décryptant des regards masculins sur ces questions.
Leur conclusion : les hommes interrogés dans leur enquête traversent une période de "brouillage" des repères traditionnels. Confrontés à la montée des femmes dans le monde du travail, parfois tentés de miser davantage sur leur vie privée, ils ne sont pas reconnus comme pères par l'entreprise, et certains disent rencontrer des freins au sein même du couple.
Les deux auteures ne prétendent pas avoir effectué un travail scientifique. Elles ont interrogé une vingtaine de dirigeants et cadres d'entreprises (BNP Paribas, La Poste, Total, Peugeot Citroën, Accenture, France Télécom-Orange...), sollicités par l'ORSE et volontaires pour répondre. C'est un échantillon "non représentatif" car composé de "personnes motivées", précise Mme Giampino : "Ce qu'ils disent peut éclairer l'avenir, nous sommes davantage dans la prospective que dans le diagnostic."
L'ORSE, de son côté, poursuit un double objectif : impliquer un maximum d'hommes dans la recherche de l'égalité car "ils ont beaucoup à y gagner", selon François Fatoux, délégué général de l'association. Et convaincre les entreprises que la conciliation entre travail et vie privée intéresse aussi les hommes. "L'idée qu'ils puissent s'investir dans la sphère privée est encore taboue, explique-t-il. Un homme qui part à 18 heures ou demande un 4/5e est perçu comme pas motivé. Or il n'y aura pas d'égalité entre hommes et femmes dans l'entreprise sans égalité dans la sphère privée, où les femmes restent très désavantagées."
Premier constat : les hommes interrogés "sacralisent" le monde du travail et placent l'ambition personnelle au premier rang de leurs préoccupations. L'un des hommes interrogés revendique "une disponibilité à 100 %". "Je n'ai pas fait de sacrifices dans ma carrière, jamais !", dit un autre. "La focale sur le travail est tellement profonde qu'elle est comme une force inconsciente entraînant les autres à s'ajuster avec plus ou moins de difficultés", commentent les auteures.
Selon Mme Grésy, l'enquête fait cependant apparaître "un ébranlement des certitudes" parmi les jeunes cadres interrogés, âgés de 30 à 40 ans. Ces derniers ressentent une certaine ambivalence à l'égard de la montée des femmes dans l'entreprise. Elles sont des "partenaires estimées" mais aussi des "concurrentes enviées", voire "objets de soupçon". "Si quelqu'un est promu parce que c'est une femme et qu'à cause de cela elle a plus de droits, alors ce n'est pas "fair", car nous, on nous demande de nous sacrifier", dit l'un d'eux. "Les femmes sont en train de conquérir l'environnement professionnel dont ils avaient les clés, observe Mme Giampino. Certains peuvent ressentir un sentiment de dépossession."
Or, en parallèle, ceux qui souhaitent s'investir dans la sphère privée peuvent en être découragés. "C'est une injustice criante qu'un manager attribue (à un homme) des contraintes plus tardives le soir qu'à ses collègues femmes", dit un enquêté. "Lors d'une proposition, j'ai dit que j'étais partant, mais qu'il fallait que la RH trouve une solution pour ma femme. Que non, elle ne pouvait pas s'arrêter, car elle gagne plus que moi (...). Et bien la proposition est tombée", relate un cadre.
Certains affirment rencontrer des freins chez eux. "Les femmes dans le quotidien de la maison et des enfants veulent conserver un pré carré", dit un témoin. "On n'a pas de problème avec la parité si tout le monde joue le même jeu avec les mêmes règles, résume un cadre. Mais il faut que ça soit aussi les mêmes règles pour la parentalité." Leur conception de la parentalité est cependant davantage axée sur les loisirs que les femmes, nuancent les auteures.
Ce type de discours "doit être entendu" par les femmes, selon elles. Mais l'enjeu est surtout que pouvoirs publics et entreprises favorisent "un réel exercice de la parentalité quotidienne" pour les mères... et les pères.
Gaëlle Dupont
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