Le recours aux travailleurs handicapés

Posté le 23 mars 2012 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

altLe choix du secteur « protégé et adapté » dans la fabrication et le conditionnement de cadeaux d'affaires dépasse le simple stade de la solidarité

Marketing - Cadeaux d'affaires Paniers gourmands, clés USB, stylos... Esat et EA se lancent dans la fabrication et le conditionnement de cadeaux d'affaires. Une niche industrielle qui permet aux travailleurs handicapés de bénéficier d'un emploi et d'un accompagnement médico-social. Côté entreprise, il s'agit d'un choix stratégique : une manière éthique et utile d'allier marketing, politique d'entreprise, communication et réduction de la contribution Agefiph en toute légalité. D'autant que les produits proposés sont largement à la hauteur de n'importe quel fabricant ordinaire.

Le handicap dans l'entreprise commence avec une histoire de chiffres. 6 %, c'est la part d'obligation d'emploi de personnes handicapées pour tout employeur de plus de vingt salariés. Quand ce n'est pas le cas, il peut alors recourir à la sous-traitance au secteur protégé ou adapté. Anciens CAT et Ateliers Protégés, les Esat et EA permettent à des personnes handicapées d'exercer une activité professionnelle dans des conditions de travail aménagées, dans un cadre médico-social pour les Esat, ou dans une entreprise à part entière mais employant au moins 80 % de personnes handicapées pour les EA. Souvent mal connue, l'activité de ces structures se limite parfois dans l'esprit des entrepreneurs à "faire le ménage ou à tondre la pelouse, explique Anita Bouyer, responsable commerciale au sein de l'Adapei53. Beaucoup de clichés perdurent sur ce que nous faisons".

Pourtant, l'éventail des prestations proposées est bien plus vaste et sensible au marché. Ainsi, comme l'explique Virginia Billon, directrice des Esat de Rivery, de Lys-Lez-Lannoy et de Calais, le secteur a dû renouveler son offre pour deux raisons majeures : la crise économique et la loi de février 2005 qui "pousse à l'accompagnement des usagers vers le milieu ordinaire, vers plus de formation et de professionnalisation".

Les Esat ou EA s'éloignent donc des traditionnels métiers industriels et du conditionnement pour se tourner vers des prestations tertiaires. La Sellerie Parisienne est ainsi devenue une des références dans le marquage d'objets de communication. Laurent Fittoussi, le commercial de la société, admet s'être "engouffré dans cette brèche. Une activité non exploitée, une niche économique et lucrative" loin du marché "saturé du conditionnement".

Signalétique, sérigraphie, communication, le secteur propose toute une gamme de produits en adéquation avec l'image de chaque annonceur. "Les entreprises sollicitent les Esat pour le classique panier gourmand mais aussi pour créer des choses plus complexes", explique Emmanuel Chansou, le directeur du Gésat, réseau économique du secteur protégé et adapté. Pourtant, cette activité est pour lui loin d'être représentative. "Les cadeaux d'entreprise représentent moins de 1 % du secteur. Une cinquantaine d'Esat ou EA sur les 2 000 que compte le territoire français travaillent sur les cadeaux de type alimentaire, et une centaine sur l'objet publicitaire."

Grands groupes, PME, production locale ou nationale, entreprises privées ou encore administrations publiques, les cadeaux proposés par le secteur protégé et adapté attirent tout type d'annonceur. Ainsi, la Sellerie Parisienne avoue intéresser autant "petits garages, boulangeries ou pizzerias" que "des sociétés cotées au CAC 40 comme Sanofi, la Société Générale ou LVMH". La direction du siège de Pôle Emploi a fait réaliser des clés USB personnalisées et fait appel depuis deux ans à un Esat pour la confection de cadeaux de fin d'année pour ses agents : "Des coffrets alimentaires avec un mélange de produits sucrés et salés et de coffrets bain en 2010, et des coffrets alimentaires sucrés en 2011", explique Loan Flusin, correspondante régionale handicap.

La Macif réalise quant à elle des actions ponctuelles telles que la réalisation d'un "objet souvenir pour les quinze ans de la fondation de l'entreprise en 2009 ou d'un bloc-notes avec une page de sensibilisation à l'emploi aux travailleurs en situation de handicap fin 2011", expose Jean-Pierre Druelle, responsable communication à la Macif Nord-Pas-de-Calais. Les cadeaux d'affaires et d'entreprise s'avèrent être une niche économiquement viable qui influe sur tout le secteur. "Le marketing est une activité autour de laquelle il y a beaucoup de conditionnement et de logistique", explique le directeur du réseau Gesat. Et si les traditionnels paniers cadeaux de Noël ou autres objets publicitaires réalisés par les travailleurs handicapés fonctionnent si bien, c'est que se cache derrière une mécanique économique, fiscale et politique bien rodée.

Avantages légaux et stratégiques

Faire produire ses cadeaux d'affaires ou publicitaires par le secteur adapté ou protégé, c'est d'abord pour l'entreprise diminuer sa contribution Agefiph (ou FIPHFP dans le secteur public) à hauteur maximum de 50 % dans le cas où l'entreprise de plus de 20 salariés n'emploierait pas ses 6 % de travailleurs handicapés. "Une taxe assez conséquente", comme l'explique Eric Darmagnac, le directeur d'Andikado, puisqu'elle peut représenter de 400 à 1 500 fois le Smic horaire par bénéficiaire manquant selon les situations. La logique du secteur adapté et protégé est donc de profiter de cette loi pour gagner des contrats de sous-traitance, tandis que les entreprises cherchent à s'exonérer de leur contribution ou à gagner des unités bénéficiaires.

A la Macif Nord-Pas-de-Calais par exemple, le responsable communication confie "son petit souci" :"Les emplois que nous proposons en général ont une qualification spécifique et ils ne correspondent pas toujours au profil des travailleurs handicapés que nous recevons. De ce fait, nous n'arrivons pas toujours au quota fixé dans l'accord d'entreprise. Donc soit nous reversons une contribution à l'Agefiph, soit nous menons des actions et faisons appel à un Esat." Mathématiquement, et malgré des prix parfois prohibitifs, acheter des objets publicitaires ou des cadeaux d'affaires réalisés par le secteur adapté ou protégé permet donc aux entreprises de se dédouaner de leurs devoirs en faveur du handicap et de faire de réelles économies. Certains intermédiaires abusent d'ailleurs de ce système "en vendant du handicap et du misérabilisme à un prix d'escrocs et cela au nom du handicap", se désole Virginia Billon. Pourtant, selon elle, ces pratiques financières ne seraient pas légion.

"Gagner de l'unité bénéficiaire n'est que la cerise sur le gâteau dans 95 % des cas. Bien sûr, les 5 % d'entreprises qui se moquent du handicap existent encore. Mais même lorsqu'elles s'adressent à nous pour des raisons économiques, elles reviennent satisfaites de la qualité de la prestation." Les intérêts légaux et financiers des entreprises à faire appel au secteur sont d'ailleurs relativisés par le baromètre Humanis sur la sous-traitance avec le secteur protégé ou adapté. "Faire une action citoyenne en direction des personnes handicapées" serait la raison principale du recours au secteur juste devant la "diminution de la contribution Agefiph". Pour Anita Bouyer, la loi doit plutôt être regardée positivement, comme une "clé d'entrée qui oblige les entreprises à mettre un pied à l'intérieur de nos structures et à les visiter".

Le tableau n'est donc pas aussi indécent qu'il y paraît. Nombreuses sont les entreprises qui ont développé des services ou missions dont l'objectif et la responsabilité sont de sensibiliser au handicap. D'une simple étiquette à la carte de vœux, les entreprises choisissent de quelle manière elles vont communiquer sur leur démarche éthique pour valoriser leur "politique handi-accueillante auprès des achats, des cadres dirigeants, des partenaires" explique Frédéric Ruffin, conseiller interrégional à l'intégration au Pôle Emploi. Une démarche politique qui s'allie particulièrement bien avec le secteur public, qui joue la carte de l'exemplarité.

Ainsi au conseil général de Seine-Saint-Denis, Fabien Lepetit, chef du service de la commande publique, explique que recourir aux Esat pour ses objets publicitaires permet "de montrer l'attachement du département au soutien de la population handicapée et permet une lisibilité de l'action départementale. Ce n'est pas qu'une question légale, c'est aussi une question politique", résume-t-il. Le travail handicapé, un faire-valoir pour l'entreprise ? Du côté des Esat, ce positionnement semble tout à fait accepté. "Bien sûr les entreprises communiquent sur le fait qu'elles travaillent avec nous et c'est normal, elles font travailler et progresser le secteur", justifie Virginia Billon. Objectifs financiers, légalistes ou encore éthiques, faire réaliser ses cadeaux d'affaires et publicitaires par le secteur protégé ou adapté, reste pourtant avant tout un investissement de communication marketing de qualité, un moyen d'assurer l'attractivité de son entreprise.

Un secteur concurrentiel

Prix, délais, acheminement, stock ou encore services, les cadeaux d'affaires proposés par le secteur protégé et adapté s'affichent comme concurrentiels, en parallèle aux marchés ordinaires. "L'idée c'est d'effacer le côté œuvre charitable et de se placer comme une entreprise privée, explique Anita Bouyer. Nous ne nous battons pas sur le handicap mais sur le contenu du coffret." Les Esat et EA mettent donc en avant leur savoir- faire, leur parfaite maîtrise technique, comme pour compenser le handicap.

"Nous devons presque être meilleurs qu'une autre source", avoue la responsable commerciale au sein de l'Adapei53. Clé en main ou sur mesure, les formules proposées sont donc identiques à celles du milieu ordinaire. "Nous travaillons à la demande sur de la conception visuelle ou d'objet. Certains clients arrivent avec leur projet bouclé sur clé USB, d'autres viennent avec des idées et nous travaillons de la conception jusqu'à la réalisation", explique Virginia Billon. De son côté, la Sellerie Parisienne propose toute une gamme de typologies de marquage, de transferts, de sérigraphie ou de sublimation et s'inscrirait même comme "précurseurs sur plusieurs nouvelles techniques de marquage qui reviennent deux fois moins cher que la sérigraphie ordinaire. Mais c'est notre secret, explique Laurent Fittoussi. Nous maîtrisons notre savoir-faire, nous sommes compétitifs et cela nous permet de ne pas vendre du misérabilisme mais de la compétence".

Et pour être concurrentiel malgré les handicaps, le secteur rivalise d'ingéniosité et fait du sur-mesure en interne, puisque comme le rappelle Emmanuel Chansou, "la plupart des 145 000 personnes qui travaillent en secteur protégé et adapté sont handicapées mentales. Les profils sont très variés, chaque moniteur adapte donc le travail à la personne, il n'y a pas d'approche par handicap". Avec un taux horaire plus bas, mais surtout de la formation, un accompagnement, du savoir-faire, de la flexibilité et de l'envie, les cadeaux issus des structures du secteur protégé et adapté sont donc irréprochables.

"On dit qu'un travailleur handicapé a une capacité d'un tiers par rapport à une personne normale, mais c'est parfois faux. C'est un terme générique, et certains travailleurs n'ont pas à rougir de la comparaison avec un sérigraphe professionnel. Ils sont simplement moins diplômés et protégés, mais ils ont un vrai savoir-faire", ajoute Laurent Fittoussi. Produits, prix, délais ou encore qualité identiques, les entreprises sont donc unanimes sur le choix du secteur et soulignent le professionnalisme qui y règne. D'ailleurs, toutes conviennent du peu d'inconvénients du recours à ce sous-traitant un peu particulier.

"Pour le moment, nous n'avons que des avantages financiers et techniques. Nous n'avons que des intérêts à faire travailler ces établissements", résume Fabien Lepetit au conseil général 93. A produits égaux, le secteur fonctionne pourtant dans un cercle particulier et bénéficie d'une discrimination positive à l'emploi. "Dès que nous détectons qu'un Esat est en capacité de produire une même prestation qu'une entreprise classique, nous le choisissons, c'est l'élément préférentiel à niveau technique équivalent", ajoute Fabien Lepetit. Un privilège que confirme Jean-Pierre Druelle à la Macif Nord-Pas-de-Calais : "A égalité de service, nous étudions sur un pied d'égalité la proposition de l'Esat, structure de l'économie solidaire."

Un avantage dont a conscience le commercial de la Sellerie Parisienne : "C'est plus facile, mais après, nous devons conserver le client, être compétitif et sérieux. Nous sommes en quelque sorte pistonnés par la mission handicap, donc on nous tombe dessus à la moindre incartade." En positionnant leurs produits en concurrence directe avec le marché commun, le secteur adapté ou protégé s'expose donc à ses contraintes, dont celle de l'exigence des clients.

Insertion économique

Si le secteur adapté et protégé peut produire ou conditionner des cadeaux d'affaires ou d'entreprise, c'est que depuis la loi de 2005, les structures de travail se sont professionnalisées, industrialisées et tendent à devenir rentables. Une logique à première vue très loin de leur objectif médico-social. "Il y a un réel changement de culture, explique Virginia Billon, et les entreprises font le constat de la qualité, du respect des délais et des coûts concurrentiels, et reviennent sur leurs préjugés." Le handicap s'efface derrière l'économie de marché. En se positionnant comme un sous-traitant à part entière, les structures du secteur protégé ou adapté doivent s'adapter à un marché en crise.

"C'est très compliqué aujourd'hui, avoue Anita Bouyer. Nous prenons les mêmes risques qu'un sous-traitant classique, auxquels s'ajoute notre dépendance aux subventions. Et dans un pays en crise et endetté, nous savons que l'on va chercher dans le futur à les faire baisser." Raisonner en termes économiques, une solution qu'ont choisie plusieurs structures pour faire face à ce futur incertain. La Sellerie Parisienne assume ainsi pleinement "un positionnement atypique parmi les Esat. Nous raisonnons en termes économiques, mais pour nous, ce n'est pas antinomique avec le travail social", explique Laurent Fittoussi.

D'ailleurs ce dernier cherche à atteindre un chiffre d'affaires de 2,5 millions d'ici 2012 ou 2013 pour pouvoir alimenter à temps plein ses ateliers. Une démarche qui reste avant tout solidaire, puisqu'il souhaite "faire partager cette activité à caractère professionnel rentable et pérenne à d'autres Esat dans la région toulousaine et en Rhône-Alpes". Miser sur l'économie pour pérenniser le social, et soutenir des établissements en difficulté, c'est également l'orientation qu'a choisie Eric Darmagnac en développant Andikado. "J'ai souhaité développer une nouvelle approche par le produit pour valoriser le travail réalisé dans le secteur adapté ou protégé. Je souhaite que les personnes arrivent via l'objet qu'ils recherchent sur notre site et non par le handicap", explique-t-il.

En s'inscrivant comme apporteur d'affaire, il souhaite ainsi mettre en œuvre "une vraie stratégie commerciale et créatrice d'emploi", qui, il en est convaincu, est loin d'être antinomique et incompatible avec le caractère médico-social des Esat. Loin du côté réducteur des traditionnels paniers gastronomiques fabriqués par des travailleurs handicapés pour les fêtes de fin d'année, le secteur protégé et adapté, dynamique et réactif, s'engage donc sur une offre sur mesure et de qualité aux entreprises pour leurs cadeaux d'affaires. Acheter leurs produits – à des prix concurrentiels – relève d'une politique d'achat particulièrement rentable et efficace. Réduction de la contribution Agefiph ou de ses unités bénéficiaires, l'objet de communication devient double, il reflète l'image de la marque et celle de son engagement en faveur de l'emploi des handicapés.

Source : le nouvel éco

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