Les sous-déclarations d'accidents dans le BTP coûtent cher à l'Etat

Posté le 14 juin 2012 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

Selon des témoignages diffusés jeudi 13 juin sur France Inter, l'entreprise de bâtiment et travaux publics (BTP) Spie Batignolles, l'un des leaders de la construction en France, aurait volontairement dissimulé des cas d'accidents du travail afin de payer moins de cotisations accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) à l'assurance-maladie. Des salariés se seraient même vus refuser 

une prime après avoir déclaré des accidents de travail.

Grièvement brûlé par une décharge électrique sur un chantier en août, Jean-Marc Nankin, interrogé par la radio, affirme que Spie Batignolles n'a pas déclaré son accident du travail. Un responsable de la sécurité aurait affirmé à l'inspecteur du travail que le salarié avait tenté de se suicider. Il n'a donc pas bénéficié d'une prise en charge complète de ses soins, et a dû attendre janvier avant que l'assurance-maladie reconnaisse enfin l'accident comme professionnel. 

LES SALARIÉS DU BTP "PLUS EXPOSÉS" AUX RISQUES D'ACCIDENT

Interrogée par France Inter, Spie Batignolles a évoqué "de regrettables exceptions". Depuis plus de dix ans, la société mise pourtant sur unepolitique poussée de "zéro accident". Dans un entretien au Monde en 2009, le PDG du groupe, François-Xavier Clédat, affirmait que "le zéro accident, c'est possible", ajoutant que "sur certains chantiers (...) aucun accident n'a été constaté".

Lire l'entretien : "François-Xavier Clédat : 'Le zéro accident du travail, c'est possible'" (lien abonnés)

Les témoignages recueillis par France Inter mettent à mal l'image de la société, soulevant la question des sous-déclarations du travail dans un secteur des plus à risques. Selon l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), le secteur du BTP emploie 9 % des salariés du régime général, mais représente 18 % des accidents avec arrêt de travail et 30 % des décès. "Les salariés du BTP sont, plus que les autres, exposés à des risques élevés d'accidents du travail ou de maladies professionnelles", affirme l'INRS.

En 2010, la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a relevé 115 405 accidents du travail - dont une majorité de douleurs et lumbago, plaies et contusion -, sur un total de 1 575 557 salariés. Cette même année, 8 299 incapacités permanentes et 118 décès ont été recensés. Selon les chiffres de l'organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), un décès a lieu sur un chantier tous les trois jours.

COTISATION EN FONCTION DES DÉCLARATIONS

Du fait de risques plus élevés, les entreprises du BTP sont donc, en principe, amenées à payer une cotisation accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) plus importante : selon les règles de tarification, le taux de cotisation est fixé "en fonction du risque que présente l'activité de l'entreprise" et selon "la fréquence et la gravité des sinistres dont peuvent être victimes ses salariés". Le taux de cotisation des entreprises du BTP est ainsi deux fois supérieur à la moyenne : 4,4 %, contre un taux moyen de 2,2 %, selon l'assurance-maladie.

Dans ce cadre, les entreprises de 200 salariés et plus - Spie Batignolles, qui compte 8 300 salariés, en fait partie - sont soumises à un système de tarification individuelle : le taux de cotisation dépend alors "de la sinistralité et des résultats propres à chaque établissement". Il repose directement sur les déclarationsd'accidents du travail des employeurs, contrairement aux plus petites entreprises, soumises à des tarifications mixtes ou collectives, fixées davantage selon une moyenne par secteur d'activité.

Pour Fabrice Marion, secrétaire national pour les travaux publics au sein du syndicat FNCB-CFDT, les sous-déclarations d'accidents du travail "s'amplifient"dans le secteur du BTP, et ce depuis "plusieurs années""C'est un phénomène courant dans la profession, et qui ne recule pas, affirme-t-il. Des entreprises ne déclarent pas les arrêts de travail et prennent en charge le salaire pour payermoins de cotisations." 

"LE SALARIÉ A L'IMPRESSION D'ÊTRE GAGNANT"

Interviennent en outre les "primes au zéro accident", surtout dans les grandes entreprises, précise Fabrice Marion. "Des chefs de chantier vont être incités à ne pas déclarer des accidents pour obtenir une prime", explique le responsable syndical. Mais le plus inquiétant, selon lui, est que les salariés n'ont pas vraiment conscience des conséquences de ces pratiques. "L'entreprise s'arrange pour que, dans l'immédiat, le salarié ait l'impression d'être gagnant. Les frais de santé sont pris en charge, mais par leurs mutuelles, ce qui n'est pas normal en cas d'accident du travail."

En juillet 2011, un rapport de la commission d'évaluation de la sous-déclaration des AT-MP de la Cour des comptes, présidée par Noël Diricq, a estimé que les sous-déclarations pourraient coûter chaque année entre 587 millions et 1,1 milliard d'euros à l'Etat jusqu'en 2014. En effet, en cas de sous-déclaration, les coûts sont pris en charge par la branche maladie de l'assurance-maladie, financée par les employeurs, les salariés et les contribuables via la contribution sociale généralisée (CSG). Alors que ces dépenses pourraient n'être affectées qu'à la branche risques professionnels qui, elle, est financée uniquement par les cotisations des employeurs.

Interrogées sur ces sous-déclarations dans le BTP, Marisol Touraine a admis, jeudi 13 juin, au micro de France Inter qu'il s'agissait d'"un phénomène que nous connaissons bien, et qui est préoccupant". La ministre des affaires sociales et de la santé a promis que la lutte contre les sous-déclarations des accidents du travail, "qui coûtent beaucoup d'argent à l'assurance-maladie", seraient "un chantier que nous allons poursuivre" au gouvernement.

Source: Le Monde

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