Observations sur le projet de délit de harcèlement sexuel

Posté le 11 juillet 2012 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

chsctLe 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel a jugé que « l’article 222-33 du Code pénal permet que le délit de harcèlement sexuel soit punissable sans que les éléments constitutifs de l’infraction soient suffisamment définis ; qu’ainsi, ces dispositions méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines et doivent être déclarés contraires à la Constitution. » En conséquence il a abrogé le délit de harcèlement sexuel avec application immédiate aux affaires en cours, délivrant ainsi un permis de harceler et privant les victimes de harcèlement sexuel de tous recours devant les juridictions pénales tant que de nouvelles dispositions ne sont pas votées.

Cette décision a suscité une indignation générale, une mobilisation du mouvement féministe et une forte médiatisation. 7 jours après la décision du Conseil constitutionnel, une première proposition de loi est enregistrée à la présidence du Sénat, 6 suivront.

La commission des lois du Sénat s’est prononcée sur le projet de loi relatif au harcèlement sexuel (n°592) présenté par M. Ayrault, premier ministre et Mme Taubira, ministre de la justice, qu’elle a modifié. L’examen par le Sénat des 5 articles de ce texte (n°620), rétablissant l’article 222-33 du Code pénal et des sept propositions de loi déposées est prévu mercredi 11 juillet à 14h30 selon la procédure accélérée.

1. La définition du délit de harcèlement sexuel dans le projet de loi modifié

Le texte qui sera soumis à la discussion puis au vote incrimine à l’article 1, deux types de harcèlement sexuel.

Inspiré de la directive européenne de 2002, le premier vise « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos, comportements ou tous autres actes à connotation sexuelle qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son égard un environnement intimidant, hostile ou offensant. »

Dans cette définition, les éléments constitutifs du délit de harcèlement sexuel sont donc, au titre de l’élément matériel (les actes interdits) « des propos, comportements ou tous autres actes », lesquels doivent être « à connotation sexuelle », « réitérés » et avoir pour conséquences, non cumulatives, soit de porter atteinte à la « dignité » de la personne visée « en raison de leur caractère dégradant ou humiliant », soit de créer « à son égard un environnement intimidant, hostile ou offensant. »

L’élément intentionnel du délit, c’est à dire la conscience qu’a l’auteur de commettre un acte interdit, est dans le caractère « imposé » et « répété» des propos, gestes ou actes et dans leur « connotation sexuelle ».

Le second type de harcèlement sexuel, reprenant pour partie les dispositions pénales antérieures à 2002, est ainsi défini : « Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user d’ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave, dans le but réel ou apparent d’obtenir une relation de nature sexuelle, que celle-ci soit recherchée au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers. » Dans ce cas, l’usage « d’ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave » constituera l’élément matériel, sans que la répétition ne soit nécessaire. L’auteur doit en outre agir dans le « but », « réel ou apparent d’obtenir une relation de nature sexuelle », à son profit ou au profit d’un tiers.

Cette nouvelle définition doit être appréciée à l’aune de la réalité du harcèlement sexuel tel qu’il est défini par les personnes qui en sont victimes, au regard de 20 ans de jurisprudence et en tenant compte des nouvelles formes de harcèlement sexuel, notamment celles apparues avec le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC).

La définition du harcèlement sexuel Type I

            « Imposé » versus « non désiré »

Il est notable que si dans la directive et dans le délit de harcèlement moral, la perspective de la personne victime est prise en compte, ce n’est pas le cas dans ce projet.

La présente définition incrimine « le fait d’imposer à une personne (…) », se plaçant ainsi dans la perspective de l’auteur, lequel pourra toujours dire qu’il n’avait pas l’intention « d’imposer » ; la définition européenne retient elle, « un comportement non désiré », indiquant que la limite sera fixée par la personne visée qui ne tolère pas le comportement en cause.

Par ailleurs, si le harcèlement sexuel « est le fait d’imposer à unepersonne » (des propos, comportements, actes), pourra-t-on poursuivre les agissements qui ne visent personne en particulier mais le groupe « femmes » au sein d’un collectif de travail ? Des propos humiliants, des « blagues » dégradantes lancées à la cantonade seront-ils pris en compte dans cette définition ? Le doute est permis.

            L’exigence de la réitération

Les personnes qui déposent plainte pour harcèlement sexuel dénoncent le plus souvent des agissements qui se sont déroulés sur plusieurs semaines, mois, voire années. La réitération est donc, dans la plupart des cas, bien présente. Pour autant, est-il légitime de l’exiger? N’est-ce pas interdire à une victime de dénoncer un harcèlement sexuel dés sa première manifestation? Pourquoi devrait-elle attendre un deuxième acte ?

Qu’en sera-t-il de celui qui harcèle une femme après l’autre, se gardant de répéter les actes à l’encontre de chacune d’entre elles pour éviter d’entrer dans le champ d’application de la loi ?

            Les prévisibles difficultés d’interprétation de certains termes

L’appréciation du caractère « dégradant ou humiliant » des agissements, ou « intimidant, hostile ou offensant » de l’environnement sera celle des magistrats qui pourront toujours estimer, comme dans certaines décisions rendues antérieurement, que ce que les femmes dénoncent comme du harcèlement sexuel ne sont « que » « des signaux sociaux conventionnels de séduction lancés de façon espacée les uns des autres dans le temps, de façon à permettre d’exprimer la manifestation, non fautive au plan pénal, d’une inclination pouvant être sincère ». La précédente jurisprudence niant les droits des femmes n’est donc pas remise en cause par la présente définition.

La notion de « connotation sexuelle » pourrait également être l’objet d’interprétation restrictive. Le terme de « sexuelle » met l’accent sur les organes sexuels ou sur la sexualité à l’exclusion d’autres agissements perpétrés à l’encontre de personne en raison de leur appartenance au groupe « femmes ». Des propos tels que « vous avez une belle voix », « Et moi comment me trouvez-vous ? », « bonne à rien », « connasse, enlève ta merde »,« toi, t’es conne comme les autres, ferme la » ne sont pas à « connotation sexuelle » mais sont sexistes et entrent dans la stratégie de dénigrement ou de brouillage des limites du harceleur sexuel.

De la pertinence de la définition du harcèlement sexuel de type II

Les rédacteurs du projet cherchent ici à sanctionner le harcèlement sexuel dit « quid pro quo », harcèlement - chantage pour lequel, en raison de sa gravité, la répétition n’est pas exigée. Cette définition exige, pour que soit caractérisé le harcèlement sexuel de type II, la preuve de l’usage « d’ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave » dans un but spécifié, celui « réel ou apparent d’obtenir une relation de nature sexuelle ». Elle reprend ainsi une partie des éléments constitutifs de l’infraction telle qu’elle était définie en 1992 et en 1998. Maintes fois critiquée, cette définition est inopérante. En effet, dans le cadre du contrat de travail qui se caractérise par le lien de subordination, le harceleur qui dispose du pouvoir n’a besoin de recourir explicitement à ces manifestations. Et la victime est parfaitement consciente de la situation de contrainte dans laquelle elle est de facto emprisonnée. Or, il faut prouver « l’usage », le recours à ces formes. Lors des audiences, certain-e-s magistrat-e-s demandaient d’ailleurs : « Mais vous a-t-il menacé de licenciement ? » Non, mais la victime connaissait le risque qu’elle courrait.

Les agissements non couverts par la nouvelle définition

Le harcèlement commis en raison du sexe - sexiste donc dans ce cadre -, couvert par la directive, ne l’est pas dans ce projet. Ainsi en est-il par exemple, des propos cités plus haut, dénigrant les femmes qui ne sont pas à « connotation sexuelle ».

Ou des agissements liés aux NTIC, particulièrement dénoncés par les jeunes filles dans les établissements scolaires tels le fait de faire circuler des « rumeurs » via « facebook », de harceler de SMS, de « faire tourner le 06 » d’une jeune fille.

Enfin, le harcèlement sexuel lesbo/homo-phobe n’est pas pris en compte.

2. Quelles sanctions ?

Le projet crée des circonstances aggravantes demandées par l’AVFT depuis 1999.

Il porte les peines de 1 an à 2 ans de prison en cas de harcèlement sexuel « simple » et à 3 ans pour le harcèlement sexuel aggravé. Le montant de l’amende simple est également doublé (30 000€) ; il est de 45 000€ en cas d’aggravation.

Ces pénalités interrogent l’échelle des peines lorsque l’on sait qu’une atteinte simple aux biens (le vol par exemple) est punie de 3 années d’emprisonnement. Il faudrait donc réorganiser l’ensemble des peines et les hiérarchiser à partir des atteintes aux personnes.

3. L’indemnisation pour les victimes

Deux des sept propositions de loi, ainsi que celles de l’AVFT incluait une modification des articles du Code de procédure pénale relatifs à l’indemnisation des victimes d’infraction pénales afin qu’en cas de condamnation les victimes puissent être indemnisées par le Fonds de garantie des victimes d’infractions pénales, notamment si l’auteur est insolvable.

Cette avancée n’apparaît pas dans le projet de loi.

4. L’absence d’articulation avec le harcèlement sexuel défini par la loi du 27 mai 2008

Le projet de loi est muet quant à l’articulation de ses dispositions avec celles de la loi du 27 mai 2008, non codifiées, qui donne elle aussi une définition du harcèlement sexuel inscrite dans le champ de la discrimination. Selon l’article 1 de cette loi : « Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable.

Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. La discrimination inclut : 1° Tout agissement lié à l'un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ; 2° Le fait d'enjoindre à quiconque d'adopter un comportement prohibé par l'article 2. »

5. La prise en compte du harcèlement sexuel en droit du travail (article 3 du projet)

Je partage les critiques formulées par l’AVFT.

En outre, face au constat de l’inexistence de politiques de prévention des violences sexuelles sur le lieu de travail, le projet de loi devrait ajouter ce thème parmi les thèmes de négociation annuelle obligatoire.

Par ailleurs, si le projet de loi vise à impliquer davantage les délégué-e-s du personnel et les services de santé au travail, il devrait également renforcer les obligations des comités d’hygiène et de sécurité des conditions de travail (CHSCT) qui sont restés particulièrement passifs face au harcèlement sexuel en dépit de l’article 5 de la loi du 2 novembre 1992 qui certes ne faisait que les inviter « à proposer des actions de prévention. »

Enfin, la compétence de l’inspection du travail devrait être étendue à toutes les formes de violences sexuelles (viol, agression sexuelle, exhibition sexuelle, harcèlement sexuel) puisque ce sont tous ces agissements que les salarié-e-s dénoncent.

6. Le non-rétablissement de la possibilité des associations de se constituer partie civile en cas de discrimination liée au harcèlement sexuel

Cette possibilité prévue en 1992 a été supprimée par la loi du 17 janvier 2002. Or, les victimes portent rarement plainte contre leur employeur en raison des mesures discriminatoires qu’il a prises. Les raisons sont multiples : multiplicité des procédures (contre l’auteur du harcèlement au tribunal correctionnel, contre l’employeur attrait devant le Conseil des prud’hommes notamment en cas de rupture du contrat de travail), coût et durée de celles-ci, crainte aussi d’attaquer un employeur devant une juridiction pénale. Une association n’est pas exposée à ces contraintes. Pour rétablir ce droit, il convient de modifier l’article 2-6 du Code de procédure pénale pour y inclure la référence à l’article L1155-2 du Code du travail.

Conclusion

La variété des formes de harcèlement sexuel rend certes sa conceptualisation juridique difficile. Mais la question trouverait peut-être une réponse plus aisément si l’on commençait par rappeler les valeurs, les droits que la société entend protéger par ce texte.

Or, les exposés des motifs des propositions de loi comme du projet sont quasiment muets. La « dignité » est citée ; le harcèlement sexuel atteint-il la seule « dignité » des salarié-e-s ?

Les juges du Tribunal correctionnel de Villefranche sur Saône ayant statué sur le harcèlement sexuel dénoncé par les victimes de l’auteur de la QPC, écrivaient : « Il reste à définir, sans porter atteinte à la liberté des jeux de l’amour, la frontière au-delà de laquelle un comportement est sexuellement harcelant. Une ligne de départ peut s’établir si l’on retient que le harcèlement sexuel est un comportement lié au sexe de la victime, non désiré et subi par elle, et ayant pour elle des effets notamment dégradants et humiliants. »

Pour dessiner une ligne de justice, cette ligne de départ doit être fixée par celles qui refusent l’appropriation de leur corps, l’envahissement de leur espace et exige le respect de leur droit à l’intégrité de la personne, de leur liberté de dire oui… ou non.

Certains commentateurs des nouvelles dispositions s’inquiètent et reprennent l’éternelle mise en garde : « on ne va plus pouvoir draguer ». Non, en effet cela serait souhaitable si cette « drague » se fait aux dépens de la liberté des femmes de la refuser.

Oui, ce pouvoir, - qui se double souvent de pouvoirs économique, social - que certains s’arrogent, de faire subir à une autre personne sa vision des « relations » femme/homme est mis en cause. Oui, il est légitime que ce ne soit plus leur référentiel (ceci est une « blague », cela un geste « amical ») qui s’impose aux femmes.

Les résistances à la remise en cause potentielle de ce pouvoir sont attendues.

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