Un PSE, c'est pas du cinéma !

Posté le 17 mai 2018 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

"En guerre" sort en salles ce mercredi. En compétition à Cannes, ce film de Stéphane Brizé raconte la lutte de salariés contre la fermeture de leur usine, Vincent Lindon incarnant un délégué CGT. Olivier Lemaire, un spécialiste de l'accompagnement des CE, a été conseiller du film où il joue aussi. Interview.

Emmenée par le réalisateur Stéphane Brizé et l'acteur Vincent Lindon, l'équipe d' "En guerre" a monté les marches hier soir du festival de Cannes pour présenter ce film inspiré de multiples conflits sociaux de ces dernières années (Continental, Florange, Goodyear, Air France, etc.). Le long métrage, tourné en partie à Fumel, dans le Lot-et-Garonne, raconte la révolte des salariés d'une usine lorsque leur direction leur annonce la fermeture du site, alors qu'ils avaient accepté, cinq ans plus tôt, de travailler 40 heures payées 35 en contrepartie d'une promesse de maintien des emplois. A l'écran, le combat des salariés, qui va entraîner bientôt des dissensions syndicales, est incarné par Vincent Lindon, qui joue le personnage d'un délégué syndical CGT charismatique (voir ci-dessous la bande annonce). Parmi les acteurs figurent aussi des non professionnels comme Jean Grosset, conseiller social du premier secrétaire du PS et ancien secrétaire adjoint de l'UNSA, qui joue ici le rôle d'un conseiller social du président de la République s'efforçant de jouer les médiateurs entre le groupe allemand et les syndicalistes français. Jouent également dans le film Bruno Bourthol, délégué syndical central FO de l'usine UPSA à Agen (lire plus bas son témoignage) et Olivier Lemaire. Ce dernier, qui est un spécialiste de l'accompagnement des CE dans le cabinet lillois Alter, a également apporté ses conseils techniques au réalisateur qui signe là une oeuvre sans concession, aussi âpre qu'un documentaire sur un conflit social, les négociations, les divisions syndicales, l'éternel dilemme entre dignité et principe de réalité. Interview.

Vous êtes un professionnel de l'accompagnement des CE. Comment vous êtes-vous retrouvé à conseiller Stéphane Brizé pour son scénario et à jouer un rôle dans son film  ?

J'ai une formation de juriste et je travaille en effet au sein du cabinet Alter, à Lille, pour accompagner les comités d'entreprise, notamment lors des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE). Le metteur en scène cherchait à avoir accès à une information précise et complète sur les PSE, il a rencontré pour cela des avocats. Au détour d'une conversation, l'un d'eux, avec qui je suis en contact régulier, Ralph Blindaeur, lui a donné mon nom en lui conseillant de m'appeler. Stéphane Brizé est venu nous voir avec son co-scénariste dans nos locaux à Lille. Leur scénario était déjà bien avancé. Je leur ai donné quelques indications, par exemple sur le déroulement des réunions d'un comité d'entreprise, sur la loi Florange, car le film aborde la question de la reprise d'entreprise, sur le rôle des organisations syndicales dans l'entreprise dans un tel dossier. Nous avons eu aussi des échanges téléphoniques au fur et à mesure de l'évolution du scénario. Par exemple, sur la motivation économique des licenciements, j'ai expliqué ce qui se passait dans la vraie vie, avec l'utilisation de la justification de la sauvegarde de la compétitivité. Au passage, j'ai glissé que j'accepterais volontiers un petit rôle.

Quel rôle jouez-vous dans le film ?

Je joue le rôle d'un membre du CE qui est délégué syndical d'un syndicat autonome, le SIPI (syndicat indépendant de Perrin Industrie), d'une usine d'Agen de 1 100 salariés qui appartient à un groupe allemand. Dans le film, mon personnage ne partage pas la stratégie jusqu'au-boutiste de Laurent Amédéo, le délégué syndical CGT joué par Vincent Lindon.

Le film vous semble-t-il donc réaliste ?

De mon point de vue -mais suis-je le mieux placé pour en juger ?- je trouve que le film traite du sujet des PSE et de la fermeture d'usines de façon assez fidèle par rapport à ce qu'on peut observer dans la réalité, et c'est aussi le point de vue de ceux qui connaissent bien ces questions et qui ont pu le voir. Je pourrais même dire que parfois, il est en-deçà de ce qu'on peut voir. Ce n'est pas un film manichéen qui opposerait un méchant camp patronal face à de gentils syndicalistes, le film montre que les choses sont plus compliquées que cela.

L'équipe du film s'est-elle inspirée des conflits sociaux ayant défrayé la chronique ces dernières années ?

On pense à Continental à Clairoix, à Whirlpool  et Goodyear à Amiens, à Air France, à Molex, etc.

 

Bien sûr, le film s'inspire de ces histoires, car Stéphane Brizé s'est beaucoup documenté (*). Le personnage joué par Vincent Lindon fait penser à Xavier Mathieu, le délégué syndical qui a symbolisé le combat de Continental (voir notre interview vidéo) ou à Mickaël Wamen, de Goodyear (voir notre interview vidéo). La question d'un engagement non tenu sur le maintien des emplois renvoie par exemple à l'histoire Continental. Dans le film, les syndicats tentent une action en justice devant le TGI pour faire appliquer l'accord, mais la justice leur donne tort et la tension dramatique monte d'un cran. Le mérite du film, à mes yeux, est de montrer ce qui précède les violences déclenchées par l'annonce de licenciements, là où les médias généralement ne font voir que les violences des salariés en oubliant tout ce qui a eu lieu avant. Le film évoque aussi le dossier du papetier Arjowiggins - mais on peut aussi penser à Molex - c'est à dire le cas d'un propriétaire qui ferme une usine, qui reçoit la proposition d'un repreneur mais qui la refuse absolument car il ne veut pas d'une reprise de l'activité qui le concurrencerait.

L'action du film se déroule avant la loi Travail de 2016 et avant les ordonnances Macron de 2017 et 2018...

En effet, le film montre des procédures qui découlent de la loi de sécurisation de 2013, mais nous sommes avant la loi Travail et les ordonnances Macron. Cela étant, si nous nous étions projetés dans le cadre actuel, cela n'aurait pas changé grand chose au film, car le scénario repose sur le fait que l'entreprise est certes profitable mais qu'elle met en avant la sauvegarde de sa compétitivité pour mettre en oeuvre son plan, notion déjà consacrée par la jurisprudence.

En tant que consultant, observez-vous déjà des effets dus aux ordonnances Macron ?

Pas pour l'instant en matière de plan de sauvegarde de l'emploi, mais il est clair que la nouvelle définition du licenciement économique facilite encore plus les choses pour les entreprises qui veulent licencier. Je n'ai pas eu non plus l'occasion d'intervenir sur des ruptures conventionnelles collectives. En revanche, il se confirme que l'exigence d'un cofinancement de certaines expertises par le CSE va poser des problèmes, de même que les délais très courts donnés aux experts pour pouvoir obtenir des informations de la part des employeurs.

(*) Le réalisateur dit avoir été marqué par les images du conflit à Air France. Sur la violence physique (images de la chemise arrachée du DRH) et non physique ou symbolique (refus du dialogue, propos sur le travail des enfants, etc.), voir ce qu'en dit le chercheur Erik Neveu dans son interview du 27 avril 2018.

B. Bourthol, DSC FO : "Ce film montre en quoi consiste notre action"
Travaillant près du lieu du tournage, Bruno Bourthol a passé un casting pour figurer dans le film "En guerre" où il joue un syndicaliste d'une organisation indépendante. Engagé depuis 30 ans dans le syndicalisme, il est depuis 15 ans délégué syndical central FO à l’UPSA, sur le site d’Agen (1 300 employés). Sur le tournage, "une expérience très forte", il dit avoir découvert un autre environnement de travail, bien sûr différent du secteur pharmaceutique, mais également très technique : "C’est une autre industrie, d’autres savoirs-faire, des techniciens très pointus, avec un aspect humain également très important". Pour avoir vu son entreprise fermer deux sites, l’un en Corrèze et l’autre en région parisienne, et avoir vu ses collègues "en sont sortis essorés, moralement épuisés",  Bruno Bourthol juge le film réaliste : "Il montre ce qui peut se passer dans un conflit social lors de la fermeture d'un site".  Le délégué syndical recommande bien sûr d’aller voir le film. Son principal mérite à ses yeux ? "Montrer de l’intérieur ce qu’est un conflit social, ce qui s’y passe, et quel est le rôle des syndicalistes. C’est important car les gens ignorent souvent quel est notre rôle, ce que nous faisons".

La bande annonce du film

► A voir  : le site du journal Télérama propose une interview du réalisateur Stéphane Brizé et un autre extrait du film.

Actuel CE (lire l'article original