Quand le harcèlement moral rejaillit sur l'entreprise

Posté le 20 septembre 2012 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

chsctLe directeur commercial d'un distributeur informatique a durci les objectifs de vente d'un responsable régional, qui répercute la pression sur son équipe. Mais l'un des vendeurs, à force d'e-mails menaçants voire blessants, se met en arrêt maladie. Et se plaint de « harcèlement moral » (HM) auprès du DRH. Une enquête est menée. Le harceleur plaide sa bonne foi. Si maladresses il y a eu, elles étaient involontaires. Mais, pour la loi, on peut être harceleur sans le vouloir. Quant à l'employeur, si les faits sont confirmés, il sait qu'il ne fera pas une bonne affaire en se séparant du harceleur. Quels sont ses choix ? Décryptage avec Fabrice Perruchot, avocat en droit social, associé du cabinet Vaughan, et Prune Leroy, psychologue consultante au cabinet de conseil en prévention des risques psycho-sociaux Stimulus.

1 la présomption

Le salarié n'a pas pris un grand risque en dénonçant une situation de HM. La Cour de cassation interdit de licencier le « dénonciateur » du HM sauf à démontrer sa mauvaise foi. Quant aux faits allégués par le salarié, ils doivent « laisser présumer une situation de HM », à charge pour l'employeur d'apporter la preuve contraire. Cela est d'autant moins facile que le HM peut être involontaire et de courte durée, ou résulter de simples méthodes de gestion. « Le fait d'adresser à un salarié 2 avertissements consécutifs injustifiés a pu être assimilé à du HM », souligne M e Perruchot.
Même si l'enquête conclut à l'absence de HM, le salarié peut toujours faire état de la dégradation de ses conditions de travail ou de son état de santé pour prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur. Son départ pourrait alors être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Autre action possible du salarié : « Tenter d'obtenir une inaptitude médicale, ce qui lui permettrait de dire, au moment de son licenciement, que celle-ci découle du HM dénoncé », indique M e Perruchot.

2 L'étau judiciaire

Une fois licencié, le harceleur pourrait reporter la responsabilité sur l'employeur et ses exigences de ventes, ce qu'admet la Cour de cassation (novembre 2011). Autre possibilité : une action du salarié dont le HM a été reconnu, pour non-respect de l'obligation de prévention du HM (article L 1152-4 du Code du travail (CT). L'employeur risque par ailleurs une condamnation au titre de son « obligation de sécurité et de santé de résultat ». « La sévérité de la Cour de cassation au regard de l'article L. 4121-1 du CT qui impose à l'employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et de protéger la santé de ses collaborateurs fait craindre que l'on s'oriente vers un refus de reconnaître le HM, pour éviter de voir sa responsabilité engagée », note M e Perruchot. Et cet étau judiciaire risque d'éclabousser tous les acteurs. « Aujourd'hui, tout le monde a peur et se protège », décrypte Prune Leroy.

3 la prévention

Seule planche de salut : la prévention. « Plus l'employeur se sera prémuni en amont, moins la condamnation pécuniaire encourue sera importante », assure M e Perruchot. Se prémunir, c'est d'abord tracer les lignes rouges de la tolérance. « On a tendance à excuser certains comportements toxiques sous prétexte que la personne concernée est un ‘‘bon'' élément. Or ces comportements peuvent contaminer d'autres personnes qui travaillent bien mais qui ne se sentent pas reconnues », prévient Prune Leroy. Toute la difficulté est ensuite de repérer les comportements critiques. « La recherche à tout prix d'un coupable engendre des attitudes trop stéréotypées, met en garde Prune Leroy. Or chaque situation est unique et doit être regardée avec des yeux nouveaux. » Son conseil ? Former tous les acteurs de l'entreprise au repérage des comportements toxiques et des personnes en difficulté en donnant à chacun un rôle de veille.
Une fois le HM dénoncé, le sérieux et la qualité de l'enquête peuvent faire la différence. Nourrie de témoignages, courriers, certificats médicaux, etc., et des déclarations de chacune des parties, l'enquête doit être la plus neutre possible. Les membres du CHSCT et, le cas échéant, le médecin du travail peuvent y être associés. « Il est préférable d'y intégrer les représentants du personnel. Ils seront également les garants que l'enquête aura été menée avec neutralité, ce qui peut être utile en cas de contentieux », précise M e Perruchot.

à retenir

Un harceleur peut être condamné au civil et au pénal. Il faut donc agir le plus en amont possible par :
- des procédures de sensibilisation et de formation (cadres, CHSCT) ;
- une charte éthique des comportements interdits tels que l'emploi d'un vocabulaire violent ;
- une procédure de gestion des plaintes avec les représentants du personnel, le CHSCT et le médecin du travail : prise en charge du harcelé et accompagnement du harceleur dans un changement de comportement.

Source (Laurence Neuer, Les Echos)

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