Salariés et managers : les raisons du malentendu

Posté le 23 novembre 2012 | Dernière mise à jour le 13 mars 2020

chsctUne enquête BVA-Axys Consultants pointe les différences entre le regard des managers, celui des salariés et celui des patrons: Trois fonctions, trois discours

Selon que l'on soit dirigeant, manager de proximité ou simple collaborateur, le regard porté sur l'encadrement varie, à en croire une enquête de BVA-Axys Consultants, dévoilée en exclusivité par « Les Echos ». Les managers estiment que leur mission première est de développer les compétences des collaborateurs. Leurs deux autres priorités ? Donner du sens aux objectifs collectifs et organiser et contrôler les tâches. Les salariés, eux, pensent que leurs supérieurs directs doivent d'abord valoriser le travail effectué (35 % ) et les motiver (32 % ). Et 23 % d'entre eux jugent même qu'ils doivent veiller à leur épanouissement personnel. Pour les grands patrons, enfin, donner du sens aux objectifs collectifs doit être le premier but des encadrants. Motiver les collaborateurs arrive, comme pour les salariés, au deuxième rang des impératifs !chsct

Le rationnel privilégié au détriment de l'humain

« Chacun se fait sa propre lecture car, dès le départ, plutôt que d'avoir, comme dans certains pays d'Asie par exemple, une vision transcendée de l'entreprise où la même stratégie est incarnée à tous les échelons, en France, historiquement, on a partialisé les tâches : à charge pour le dirigeant d'inventer la stratégie, au manager de la déployer et au salarié de remplir son poste », analyse Daniel Lacabane, directeur du développement des dirigeants chez Renault. De quoi engendrer des malentendus : « Les managers semblent privilégier le rationnel, la bonne exécution, le respect des procédures. Ils mesurent, évaluent, au détriment d'autres dimensions des ressources humaines comme l'épanouissement ou la reconnaissance des collaborateurs. En matière de stress, par exemple, l'étude montre que plus on descend dans la hiérarchie, plus le stress est perçu comme intense », observe Lionel Bianchi, directeur associé chez Axys Consultants. La bourrasque économique actuelle n'arrange rien. « Depuis la crise, il y a une crispation autour des objectifs. Et les incompréhensions se creusent », renchérit Céline Bracq, directrice adjointe de BVA Opinion.

Remise en cause

Bilan ? La relation entre collaborateurs et managers de proximité s'abîme, assure l'étude. Près d'un quart des 800 salariés sondés (24 % ) s'avouent insatisfaits des rapports avec leur supérieur direct. Et 21 % seulement jugent la relation « tout à fait satisfaisante ». Les managers, eux, semblent n'en avoir pas conscience : 96 % se déclarent contents des relations avec leurs équipes. Pis ! Tandis que seulement 4 % des « chefs » ne s'estiment pas excellents, trois salariés sur dix les jugent « mauvais » contre 10 % qui les considèrent « très bons ». Troublant aussi, les salariés sont d'autant plus critiques dans les PME, où la proximité, longtemps perçue comme une des clefs du bien-être au travail, domine. Ils estiment leur chef « peu épanoui », et 39 % le jugent « médiocre » (30 % en moyenne). Premier reproche : il ne sait pas valoriser le travail effectué pour la moitié d'entre eux. Dans les grands groupes, en revanche, 77 % des sondés affirment avoir un bon manager, garant de l'entente de l'équipe (73 % ), donnant du sens aux objectifs (70 % ), développant les compétences (65 % ) et veillant même à leur épanouissement (59 % ).

La reconnaissance par le dialogue

Le phénomène s'explique : « Dans une PME, réactive par définition, tout est plus brutal, estime Jean-Claude Delgènes, directeur d'un cabinet de prévention des risques professionnels. La tempête économique est telle que les managers doivent, eux-mêmes, faire de la production. Ils travaillent de manière démesurée et ont moins le temps d'être à l'écoute de leurs équipes. Dans les grands groupes, ils sont davantage formés. Et ont des moyens plus importants. » Face aux exigences des chiffres, le fossé s'accroît. Sur la capacité à motiver, par exemple, mal notée par les salariés, les managers considèrent que leurs failles sont dues, pour l'essentiel, à un manque de temps et de fonds (44 % ). Et 92 % ont le sentiment de savoir valoriser le travail. Car ils privilégient des outils « classiques » de reconnaissance, comme les primes ou les augmentations. Or les exigences des collaborateurs sont autres : ils ne sont qu'un quart à déplorer des insuffisances matérielles. « Les salariés ont intégré les difficultés de l'entreprise à les gratifier d'une rétribution financière, mais cela accroît leur besoin de reconnaissance symbolique, par le dialogue, les retours sur le travail effectué, les félicitations », estime Céline Bracq.

Réinvestir le champ émotionnel

Renault l'a compris. Dans plusieurs entités, le constructeur automobile a instauré le « quart d'heure bravo ». « Nos managers consacrent quinze minutes à féliciter leur personnel sur un de leurs accomplissements. Les résultats sont spectaculaires. Cela irradie toute l'équipe ! », raconte Daniel Lacabane, qui assure qu'aux « outils traditionnels, comme la rémunération, il faut ajouter des outils créatifs allant de la formation aux invitations à des événements professionnels, car les managers doivent réinvestir le champ émotionnel ». Reste que l'émotion est souvent taboue en entreprise, a fortiori en période de crise, où les indicateurs rationnels sont renforcés. « Nombre de managers se retranchent derrière des outils car ils manquent de confiance en eux, faute de se sentir légitimes, estime Anne-Marie de Couvreur, PDG de l'opérateur de radios d'entreprise Mediameeting. La pression des chiffres est telle que les dirigeants élèvent au rang de managers des profils moins innovants et charismatiques que consensuels, car ils ne peuvent pas se permettre de gérer la moindre opposition. Ils veulent des ‘‘quick-wins'' et privilégient les savoir-faire aux savoir-être, en restant dans les couches superficielles du management. Car développer des savoir-être prend du temps. » Parallèlement, les outils de gestion sont jugés par les salariés et les managers trop présents, trop nombreux et chronophages. « C'est le syndrome des entreprises américaines. Nous sommes allés trop loin dans le copié-collé. Nous avons transformé de bons commerciaux en comptables gérant des tableaux de reporting. Ces process coupent du terrain. D'ailleurs, dans les entreprises, on n'évoque plus son supérieur par son nom mais en parlant de son n+1 », rappelle Jean-Pierre Nadir, PDG du portail d'informations Easy Voyages (150 personnes).

« Il est urgent de restaurer la foi ! »

De même, 12 % seulement des salariés et 31 % des managers considèrent que les objectifs permettent « tout à fait » d'évaluer leurs performances. En outre, ils sont sources de stress, y compris pour 56 % des encadrants, qui jugent leurs propres objectifs plus stressants que ceux de leurs équipes. D'ailleurs, les salariés ne sont pas dupes : 67 % d'entre eux déclarent qu'ils ne souhaitent pas devenir manager ! « Il est urgent de restaurer la foi ! Manager est un métier à part entière. Or ce métier n'est plus valorisé. Les managers subissent des injonctions paradoxales. Nous assistons à la naissance d'un prolétariat managérial », estime Laurent Choain, DRH du cabinet d'audit Mazars. Pour « sortir de l'impasse », Lionel Bianchi plaide pour un « nouveau contrat managérial, fondé sur des rapports moins hiérarchisés et plus ouverts à l'échange et à l'expérimentation d'idées innovantes ». Ce qui passe par une formation accrue des managers, voire par des méthodes de promotion inédites. « Il faut cesser de promouvoir les gens à l'ancienneté. Un grand patron dit souvent que, chaque année, il perd ses meilleurs commerciaux pour en faire de mauvais chefs de vente, raconte Jean-Pierre Nadir. Mais il faut aussi former les managers à accepter l'échec et ne plus les tétaniser dans une logique d'excellence. Je préfère des managers qui décident, quitte à se tromper dès lors qu'ils corrigent leurs erreurs. » Pour Laurent Choain, il faut aussi « leur rendre la parole, les écouter ». Il y a urgence, car « intégrer la dimension du bien-être au travail est tout sauf une lubie !, assure Eric Pérès, secrétaire général de FO Cadres. C'est le secret de la compétitivité des entreprises de demain. »

Source (Leséchos.fr)

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